Effondrement de l’aide et regain de l’organisation Daech : le Mozambique au bord d’une nouvelle explosion
Sur les côtes du Mozambique, où l’odeur du sel se mêle au bruit des balles, la « Province d’Afrique centrale » affiliée à l’organisation Daech réapparaît comme un acteur ascendant sur le terrain, profitant du vide laissé par l’effondrement soudain de l’aide américaine.
Une scène résume ce basculement : sept hommes armés montent sur l’estrade d’une petite mosquée près de Mocímboa da Praia, brandissent le drapeau de l’organisation au grand jour et s’adressent avec une confiance inédite à une population épuisée par huit années de violence et de déplacement.
Ce n’était pas une simple démonstration de force, mais une annonce de retour, survenue après l’arrêt de programmes qui constituaient l’unique bouée de sauvetage dans l’une des régions les plus pauvres et fragiles d’Afrique.
Comment cette baisse de l’aide américaine a-t-elle contribué à l’essor de Daech ?
Selon la chaîne CNN, le démantèlement de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), ordonné par le président Donald Trump en janvier, a conduit à l’arrêt total de certaines aides et à une réduction massive d’autres programmes, dont ceux destinés à renforcer la présence du gouvernement central et à contenir l’insurrection.
La province de Cabo Delgado, au nord du Mozambique, riche en gaz, a subi huit années de meurtres et d’appropriations de terres. Les insurgés ont contrôlé cette ville côtière d’août 2020 à août 2021, provoquant un déplacement massif et de lourdes destructions.
Par la suite, les armées mozambicaine et rwandaise, invitées par le gouvernement de Maputo, ont rétabli une partie de l’ordre. Dans le même temps, les gouvernements occidentaux ont injecté d’importantes aides dans la région, encourageant le retour de nombreux déplacés.
Le 7 septembre dernier, Daech a lancé une nouvelle attaque violente sur son ancien bastion de Mocímboa da Praia, où des dizaines d’hommes, pour la plupart chrétiens, ont été décapités sur plusieurs semaines, poussant des dizaines de milliers de personnes à fuir.
Selon une analyse du projet ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project), 79 % de l’activité mondiale de Daech entre janvier et octobre de cette année s’est déroulée en Afrique. En octobre, l’activité du groupe au Mozambique a atteint un pic, représentant 11 % des actes de violence liés à l’organisation dans le monde.
Pendant deux mois, CNN a interrogé plus de douze anciens responsables de l’USAID ainsi que des travailleurs humanitaires, et a examiné une large documentation interne afin d’évaluer l’impact complet de la fermeture de l’agence sur l’un des pays les plus fragiles du continent.
Une insurrection nourrie par la pauvreté
Plus de la moitié de la population mozambicaine vit sous le seuil de pauvreté, l’âge médian est de 17 ans et le pays dépendait fortement de l’aide américaine, qui s’élevait à 586 millions de dollars en 2024, soit environ 3 % du PIB national.
Les documents consultés par CNN montrent que des projets d’une valeur de 2,4 milliards de dollars étaient en cours ou prévus au moment de l’arrêt du financement. Ils comprenaient une aide alimentaire d’urgence, l’approvisionnement en eau, l’éducation, le soutien aux administrations locales, ainsi qu’une contribution de 160 millions de dollars pour financer partiellement des traitements contre le sida.
L’USAID finançait également des programmes visant à réduire la capacité de recrutement de Daech, dont deux projets ciblant les conducteurs de motos-taxis et les pêcheurs de Mocímboa da Praia, des métiers où les jeunes sont particulièrement vulnérables en raison du manque d’opportunités.
Un ancien haut responsable de l’agence affirme que « l’arrêt brutal des programmes de l’USAID a laissé le champ libre aux insurgés pour agir avec plus de liberté et sans rendre de comptes ». Les études mettent en évidence une insurrection alimentée par « une pauvreté extrême, l’exclusion et l’absence de services essentiels tels que la santé et l’éducation ».
Il ajoute que l’agence « s’attaquait directement aux causes profondes du problème » en nourrissant les déplacés, en soutenant les autorités locales et en créant des opportunités pour les jeunes.
« Lorsque ces efforts se sont arrêtés soudainement… un vide s’est créé, aggravant la vulnérabilité et le désespoir des habitants, ce qui a donné aux insurgés davantage d’espace pour agir, que ce soit par la violence ou par des tentatives de gagner le soutien des communautés », explique-t-il.
Le département d’État américain affirme dans un communiqué que les États-Unis ont continué d’apporter une aide, essentiellement alimentaire et de secours. Mais il n’a pas répondu aux questions de CNN concernant le lien entre la réduction de l’aide et la résurgence de Daech.
Violences persistantes
La destruction est visible en périphérie de certaines villes, notamment dans le quartier chrétien de Filipe Nyusi, désormais désert après des attaques nocturnes. Des survivants évoquent de petits groupes armés ciblant des domiciles précis, à la recherche de personnes perçues comme aisées.
Huit hommes ont été tués dans ces attaques.
Déplacements massifs et camps saturés
La famille de l’un des hommes tués a fui vers les abords de Mueda, où elle vit dans une maison louée en grande précarité.
Après le retrait de l’USAID, des dizaines de travailleurs humanitaires ont quitté la zone et leurs bureaux ont fermé, tandis que les camps accueillant environ 93 000 déplacés peinent à répondre aux besoins.
Dans le camp de Lianda, géré par le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), les équipes ne peuvent fournir qu’une aide d’urgence couvrant un mois.
Les Nations unies ont réduit leur appel de fonds de 352 millions à 126 millions de dollars, et n’en ont reçu que 73,2 millions, dont seulement 3,5 millions en provenance des États-Unis.
Richesse immense et crise sécuritaire
Les champs de gaz naturel liquéfié se trouvent au large de Palma, à environ une heure de distance, et des entreprises telles que TotalEnergies et ExxonMobil y misent sur des projets de plusieurs milliards de dollars malgré les attaques qui perturbent les opérations depuis 2021.
Bien que Washington ait réduit son aide, la banque américaine EXIM a financé un prêt de 4,7 milliards de dollars pour soutenir le développement du projet gazier d’Afungi.
Le lancement d’un projet d’une telle ampleur, à proximité d’une zone où se renforce une insurrection affichant sa volonté de perturber les opérations, pose des défis considérables.
