Des guerres sans soldats… La Toile d’Araignée révèle les contours du futur militaire

Une course aux armements technologiques redessine le paysage des conflits, où les drones et l’intelligence artificielle deviennent des éléments clés dans les équilibres de dissuasion et de confrontation.
Dans ce contexte, l’opération ukrainienne baptisée « Toile d’Araignée », menée en profondeur du territoire russe, met en lumière le rôle croissant des drones dans la redéfinition des règles d’engagement, soulevant des questions profondes sur l’équilibre des forces, l’avenir de la dissuasion et le possible retour du concept de « guerre totale ».
L’experte militaire Mara Karlin, professeure à l’Université Johns Hopkins et ancienne conseillère de six secrétaires à la Défense, a déclaré dans une interview accordée au magazine américain Foreign Policy que, malgré sa précision et son impact médiatique, l’opération a eu un effet stratégique limité en raison de l’incertitude autour des pertes russes, qui varient entre la destruction de 40 bombardiers (selon l’Ukraine) et un nombre bien moindre (selon la Russie).
Elle a toutefois souligné l’importance de l’effet de surprise et de la planification de longue haleine ayant précédé l’opération.
Karlin a comparé « Toile d’Araignée » à une opération israélienne menée contre le Hezbollah libanais à l’automne dernier, qui aurait blessé au moins 2 000 combattants. Selon elle, bien que les deux opérations soient similaires en termes d’innovation, l’impact de l’attaque israélienne a été plus significatif.
Elle a indiqué que, sur le court terme, la technologie pourrait rééquilibrer les rapports de force en faveur des acteurs « plus faibles », mais qu’à long terme, elle profite à ceux capables de l’intégrer efficacement et de développer des capacités organisationnelles solides autour d’elle.
L’experte estime que les drones sont désormais omniprésents, non seulement en Ukraine, mais aussi dans d’autres conflits, comme l’escalade entre Israël et l’Iran l’an dernier, ou encore entre l’Inde et le Pakistan le mois dernier.
L’arme nucléaire
Concernant les armes nucléaires, Karlin note que les débats à leur sujet se sont intensifiés en Europe et dans la région indo-pacifique. Plusieurs voix s’élèvent pour doter des pays comme la Corée du Sud, le Japon, l’Allemagne, la Pologne et même certaines sphères politiques suédoises de « capacités nucléaires potentielles ». Cela soulève des doutes sur la crédibilité de la dissuasion élargie assurée par les États-Unis, au moment où leurs alliés commencent à en remettre en question l’efficacité.
L’intelligence artificielle
Quant à l’intelligence artificielle, Karlin affirme qu’elle accélère le rythme des guerres et améliore la compréhension des données de terrain.
Cependant, elle met en garde contre le risque d’une prise de décision précipitée sous la pression du temps, imposée par des systèmes automatisés, comme dans une partie d’échecs entre deux ordinateurs ultra-rapides. « Je suis un peu inquiète du fait que l’IA accélère excessivement les cycles de décision. Cela peut pousser des gens à réagir sans suffisamment réfléchir. Fondamentalement, cela peut représenter un grave danger pour la stabilité des conflits. »
Elle considère que l’IA peut soutenir les petits États à travers des réseaux d’alliances stratégiques, mais que l’avantage revient aux grandes puissances capables d’investir massivement dans le calcul avancé.
Elle insiste également sur l’importance d’adopter une vision globale de la guerre, intégrant les dimensions civiles et technologiques, comme cela a été le cas durant les révolutions industrielle, agricole ou démocratique.
Vers une guerre totale ?
À propos du concept de « guerre totale », Karlin a exprimé sa crainte de le voir réapparaître, notamment après l’expérience ukrainienne et les tensions au Moyen-Orient. Elle estime qu’il est désormais nécessaire de se préparer à des conflits à la fois conventionnels et nucléaires, et non plus seulement à la lutte contre le terrorisme.
Concernant les États-Unis, elle considère que leur niveau de préparation est insuffisant, notamment à cause de la marginalisation croissante des compétences civiles au sein du Département de la Défense, ce qui nuit à la planification stratégique.
Elle a également émis des doutes sur le projet de « dôme doré » actuellement promu, en raison de son coût très élevé et de son éloignement du concept de dissuasion préventive qui a longtemps guidé la stratégie américaine.
La Chine
Enfin, Karlin alerte sur l’avancée rapide de la Chine dans plusieurs domaines militaires : modernisation nucléaire, puissance maritime et spatiale, opérations cybernétiques.
Elle s’inquiète de l’absence de dialogue militaire entre Washington et Pékin, ce qui augmente le risque de malentendus, notamment autour de Taïwan, que la Chine espère pouvoir contrôler militairement d’ici 2027.