Politique

De Port-Soudan au palais présidentiel en Colombie : comment a été fabriquée la plus grande intox médiatique sur un avion émirati dans la guerre au Soudan


Le soir du 6 août 2025, la télévision nationale soudanaise a diffusé une information urgente affirmant que l’armée de l’air soudanaise avait abattu un avion militaire émirati au moment de son atterrissage à l’aéroport de Nyala, transportant à son bord environ 40 mercenaires colombiens. Malgré la gravité de cette accusation, aucun cliché du site de l’incident ni aucune image de l’appareil visé n’ont été présentés. La chaîne s’est contentée de diffuser un extrait d’archives montrant des avions de combat en vol, sans rapport avec l’événement allégué.

Cette annonce, émanant des studios de Port-Soudan, ne reposait sur aucune preuve tangible : pas de photographies de l’appareil, pas de débris, pas de corps des prétendus mercenaires. Il ne s’agissait que d’une déclaration télévisée, répétée en boucle pour persuader l’audience.

Quelques heures plus tard, l’agence de presse espagnole EFE a repris cette version directement depuis la télévision soudanaise, publiant la nouvelle en format « alerte » sur son compte de la plateforme X. L’opération a été effectuée par l’équipe de l’agence basée au Caire, en Égypte, conférant à l’histoire une apparence de légitimité internationale et favorisant sa diffusion à grande échelle.

Une telle approche – s’appuyer sur les déclarations d’un acteur directement impliqué dans le conflit sans vérification par des sources indépendantes – contrevient aux principes fondamentaux du journalisme professionnel, tels que définis par les codes de conduite des grandes institutions médiatiques. La question demeure : comment une agence de la stature d’EFE a-t-elle pu relayer, sans réserve, la version d’un seul camp dans un conflit armé, en dépit du passé bien connu de désinformation de la télévision soudanaise ?

Le 7 août 2025, le président colombien Gustavo Petro a retweeté la dépêche d’EFE relatant la version soudanaise, en l’accompagnant d’un commentaire appelant à l’adoption d’une loi interdisant l’activité des mercenaires, tout en demandant à son ambassadrice en Égypte de vérifier le nombre de Colombiens prétendument tués. Il a évoqué le chiffre de 40 morts, tout en précisant qu’il n’était pas confirmé.

Ainsi, la mécanique de la désinformation est apparue clairement : la télévision soudanaise diffuse le récit, l’agence EFE le relaie via son bureau du Caire, puis le président colombien le propage en y ajoutant une dimension politique, ce qui transforme cette version non vérifiée en information circulant à l’échelle mondiale. Dans ce processus, le président s’appuie sur une source engagée dans le conflit, lui conférant involontairement une légitimité politique et médiatique indue.

Les cellules médiatiques affiliées aux courants islamistes et kizanis ont exploité ce retweet pour déformer le message présidentiel, le faisant passer pour une confirmation de la véracité de l’histoire, alors même que son texte soulignait que les chiffres restaient incertains.

La propagation ne s’est pas arrêtée là : de grandes chaînes régionales, telles qu’Al Jazeera, ont repris la version soudanaise sans fournir de preuves ni en vérifier la véracité, amplifiant encore la portée de cette narration sur les scènes arabe et internationale.

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