Politique

Daech cherche à relier ses foyers de propagation en Afrique : un danger qui dépasse le continent


La violence des groupes armés affiliés à l’organisation État islamique (EI) ne cesse de croître à travers l’Afrique, étendant leur influence de manière à constituer une menace dépassant largement les frontières du continent.

La semaine passée, les actions de ces groupes extrémistes ont fait la une des médias, avec notamment la revendication par des forces liées à Daech d’une attaque meurtrière contre une église dans l’est de la République démocratique du Congo, ainsi que la mort de soldats au Burkina Faso — des signes clairs d’une escalade de la violence associée à l’organisation.

Selon des analystes, Daech exploite les conflits existants et l’insécurité profondément ancrée pour créer une menace complexe qui rend la lutte contre l’organisation en Afrique extrêmement difficile, rapporte la revue américaine Newsweek.

Un expert en sécurité cité par la revue souligne : « Ce dont nous parlons, c’est d’un investissement à long terme sur plusieurs années, que les États-Unis ne peuvent en réalité pas assumer et que seuls les gouvernements locaux devraient fournir… C’est là le véritable défi. »

Il ajoute, sous couvert d’anonymat : « Ce qui complique les choses, c’est qu’il faut traiter en dernier ressort des problématiques locales pour résoudre ce problème plus large », précisant que « si ce n’est pas fait, le risque est une aggravation à une échelle bien plus grande, constituant une menace bien plus importante sur la scène mondiale, une menace directe pour les États-Unis, l’Europe, et plus largement au-delà de l’Afrique. »

Daech regroupe aujourd’hui plusieurs groupes partenaires à travers le continent. J. Peter Pham, ancien envoyé spécial américain pour la région des Grands Lacs et le Sahel, a déclaré à Newsweek : « Malheureusement, depuis plusieurs années, l’Afrique demeure la principale zone de confrontation avec la violence des groupes extrémistes, y compris ceux liés à Daech. »

Il précise : « Pendant trois ans, la grande majorité des décès dus au terrorisme dans le monde ont eu lieu en Afrique », ajoutant que « bien que le niveau de menace varie selon les différentes branches de Daech, toutes — du Sahel à la Somalie, en passant par l’est du Congo et le Mozambique — deviennent de plus en plus meurtrières. »

Pham poursuit : « Elles démontrent aussi une capacité croissante à contrôler de vastes territoires, ou du moins à priver les gouvernements locaux de la possibilité d’opérer dans plusieurs zones. »

Jusqu’à présent, les branches africaines de Daech opéraient principalement de manière géographiquement isolée, limitant ainsi leur coopération effective, mais cela pourrait changer.

L’expert qualifie la situation dans la région du Sahel de « combustible prêt à s’enflammer », avec un potentiel d’expansion accru des branches locales de Daech au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

Wassim Nasr, chercheur principal au Soufan Center, exprime ses inquiétudes quant à un possible lien entre les fronts de Daech au Sahel et en Afrique de l’Ouest, où l’organisation a intensifié ses attaques au Nigeria.

Il évoque la création d’un véritable « carrefour » entre les deux provinces auto-proclamées de Daech, ce qui accroît la menace que représentent les foyers isolés de l’organisation sur le continent. « Cette situation n’est pas comparable à celle du Levant, mais il ne faut pas sous-estimer l’ambition de l’organisation à relier ces territoires, comme elle le fait entre le Nigeria et le Sahel, ni l’impact que cela a sur ses capacités », précise-t-il.

La situation dans le Sahel est particulièrement préoccupante, d’autant plus que les gouvernements militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont expulsé les forces américaines et françaises ces dernières années, se concentrant désormais sur des opérations soutenues par la Russie contre les rebelles touaregs.

Le principal rival de Daech dans la région est désormais le groupe djihadiste Al-Qaïda dans le Maghreb islamique (AQMI), qui freine la progression de Daech vers le sud, dans un contexte de faiblesse des armées locales, selon Nasr.

Il identifie plusieurs facteurs ayant permis à Daech de prospérer dans certains États africains, notamment « des États défaillants, la corruption, des frontières instables et des violations des droits humains commises par les forces de sécurité et armées locales ».

Ce cocktail, estime-t-il, risque de créer les conditions propices à de nouvelles attaques dès que les extrémistes trouveront un point d’ancrage suffisant pour mener leurs plans armés à l’extérieur, à l’image de ce qui s’est produit depuis la Libye en 2017.

Zakaria Beeri, professeur associé à l’Université de Floride du Sud, souligne quant à lui la centralité de l’Afrique, et en particulier de la région du Sahel, dans les activités de Daech.

Il déclare : « La région du Sahel, où se croisent le Mali et le Burkina Faso, est devenue un foyer mondial du terrorisme, divisé entre les groupes affiliés à Al-Qaïda et à Daech, qui représentent tous deux une menace grave. »

Il ajoute : « Les branches d’Al-Qaïda ont tendance à être plus pragmatiques, tandis que celles de Daech sont plus idéologiques… Les deux ont prouvé leur capacité à tuer et à gagner du terrain. »

Par ailleurs, plusieurs responsables américains ont reconnu la menace posée par Daech et d’autres groupes armés en Afrique.

Lors d’une audition au Sénat en avril dernier, le général Michael Langley, commandant de l’Africom (Commandement américain pour l’Afrique), a déclaré : « Sans frein, ils représentent une menace directe pour la patrie. »

Cependant, cette question semble recevoir relativement moins d’attention politique, malgré l’entrée en diplomatie de l’administration Trump dans les pays affectés par Daech, notamment via la médiation d’un accord de paix entre la République démocratique du Congo et le Rwanda voisin.

Pham qualifie cet accord de « première étape importante dans un processus que nous espérons voir conduire non seulement à la paix et à la sécurité pour les deux pays, mais aussi à un recentrage sur la menace réelle qu’ils affrontent, ainsi que leurs peuples. »

Il conclut : « En tant qu’Américains, nous avons aussi nos intérêts stratégiques… Ce n’est pas seulement la lutte contre le terrorisme, mais aussi l’accès aux minerais essentiels, qui ne peuvent être extraits et traités en toute sécurité qu’en partenariat avec les pays africains, lorsque la sécurité est assurée. »

Confidence McHary, analyste de sécurité chez S&P Morgan Intelligence à Lagos, note un changement marqué dans la politique étrangère américaine, passant de la lutte antiterroriste à la compétition pour les ressources, ce qui a permis aux groupes armés de profiter de la situation pour s’étendre dans des zones hors de la portée des frappes aériennes américaines.

Elle ajoute : « Cette compétition pour les ressources mettra en lumière la faiblesse de Washington, surtout si les intérêts économiques américains sont attaqués par Daech, non seulement en République démocratique du Congo, mais aussi ailleurs. »

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