Comment le pétrole de Marib et les prélèvements de Taïz deviennent-ils le carburant d’un État parallèle lié aux Frères musulmans ?
Un récent rapport de l’agence de presse Khabar évoque la transformation des ressources de l’État yéménite dans les zones dites libérées en ce que le rapport qualifie d’« État parallèle », administré par le parti Al-Islah (Rassemblement yéménite pour la réforme), idéologiquement et organisationnellement lié au groupe des Frères musulmans au Yémen, dans un contexte marqué par l’absence d’une autorité centrale forte.
Le rapport souligne que les revenus pétroliers et les prélèvements fiscaux sont utilisés comme des instruments de consolidation politique et économique en dehors de l’autorité de l’État officiel.
Selon le rapport, cette évolution n’est ni fortuite ni le résultat d’une réaction ponctuelle, mais l’aboutissement de plusieurs années de chaos sécuritaire et économique depuis le début de la guerre au Yémen. Les sources sur lesquelles s’appuie l’enquête indiquent que les ressources pétrolières et gazières de Marib, dotées d’un potentiel financier considérable estimé à plusieurs milliards de dollars par an, n’ont pas contribué à la reconstruction de l’État ni au soutien du budget central basé à Aden. Elles auraient plutôt été orientées vers un système financier opaque, échappant à toute supervision officielle, et utilisé de manière à renforcer l’influence des forces affiliées aux Frères musulmans dans les zones contrôlées par Al-Islah et ses alliés.
À Taïz, le rapport indique que le système de prélèvements et de taxes est passé d’un simple mécanisme local lié aux routes et aux points militaires à un « appareil fiscal parallèle » géré par un axe politico-militaire affilié à Al-Islah, dont l’influence s’étend à divers réseaux locaux.
Des frais illégaux et excessifs sont imposés aux camions et aux produits de première nécessité, entraînant une hausse significative des prix et une pression accrue sur les citoyens ordinaires. Par ailleurs, les recettes de la taxe sur le qat, plante largement consommée au Yémen, sont estimées à des centaines de millions de rials et sont perçues en dehors de tout cadre de contrôle officiel.
Le rapport ne se limite pas à exposer ces données économiques, mais cherche à les inscrire dans un contexte plus large de lutte pour le pouvoir et les ressources après l’effondrement des institutions étatiques.
Dans cette perspective, la mainmise d’Al-Islah, lié aux Frères musulmans, sur les ressources de Marib et de Taïz n’est pas perçue comme une manœuvre tactique temporaire, mais comme une stratégie visant à « instaurer un État dans l’État ». Cette stratégie repose sur le développement d’un pouvoir partisan et économique s’étendant à l’intérieur et à l’extérieur du pays, notamment à travers des réseaux d’investissement dans des États offrant des environnements plus favorables au soutien et au financement.
Les chiffres et estimations avancés dans le rapport montrent que la situation dépasse le cadre d’une corruption ponctuelle. Il s’agit d’un système économique structuré, bâti sur l’exploitation du vide institutionnel. Ces ressources n’ont pas amélioré les conditions de vie des Yéménites ni soutenu les efforts de lutte contre la pauvreté et la famine, mais ont enrichi des forces politiques et militaires au détriment des services essentiels, tandis que l’État officiel demeure incapable de contraindre ces acteurs à reverser les fonds au Trésor public.
Le rapport conclut par un appel explicite au Conseil présidentiel yéménite afin de restaurer la souveraineté financière de l’État à travers des mesures immédiates : instaurer un contrôle réel sur les revenus du pétrole et du gaz, mettre fin aux systèmes de prélèvements parallèles et engager des poursuites contre les parties ayant contribué à transformer les ressources du Yémen en outils de consolidation au profit d’alliés politiques liés aux Frères musulmans, en dehors de l’État de droit.
