Amérique, Iran et le nucléaire… Qui déchiffrera l’impasse ?
Une spirale d’hostilité et de menaces a dominé les relations entre les États-Unis et l’Iran, dans un climat de tensions qui exige beaucoup d’efforts pour être surmonté.
Dans un article publié par la revue américaine Foreign Affairs, l’ancien ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, en collaboration avec Amir Parsa Gharmsiri, doctorant en études américaines à la Faculté des études mondiales de l’Université de Téhéran, s’est penché sur la problématique de l’impasse nucléaire entre Washington et Téhéran.
L’article aborde le concept de « sécurité » et la manière dont les politologues l’emploient pour désigner la présentation d’un dossier comme une menace existentielle justifiant des mesures exceptionnelles, au lieu de l’envisager comme une question que les gouvernements peuvent traiter à travers des politiques ordinaires.
Au cours des deux dernières décennies, Israël et les États-Unis ont tenté de convaincre le monde de cesser de considérer l’Iran comme un État normal, et de le traiter au contraire comme le plus grand danger du système international.
Cette approche a conduit à des condamnations répétées, des sanctions sévères, des menaces d’action militaire et, plus récemment, à des opérations militaires menées contre l’Iran pendant des négociations entre Téhéran et Washington.
En réaction, l’Iran a été contraint d’allouer davantage de ressources et d’attention à la défense, d’augmenter l’enrichissement de l’uranium pour affirmer qu’il ne céderait pas aux pressions, et d’adopter une approche plus stricte face aux défis sociaux internes.
Le résultat a été un cercle vicieux d’escalade sécuritaire, une spirale dans laquelle l’Iran et ses adversaires se sentent obligés d’adopter des politiques toujours plus hostiles.
Casser l’impasse
Rompre ce cercle ne sera pas facile. Cela exigera des puissances étrangères qu’elles respectent les droits et la dignité de l’Iran, qu’elles cessent de le stigmatiser, de le menacer et de le contraindre.
Pour contribuer à briser cette dynamique, l’Iran pourrait commencer par renforcer le soutien intérieur grâce à des réformes économiques, consolidant ainsi sa position dans les négociations internationales.
Téhéran pourrait également reconsidérer sa focalisation sur la puissance défensive matérielle, qui amplifie les menaces, et donner la priorité à la coopération et à la coordination, notamment au niveau régional.
Parallèlement, un dialogue franc avec l’Agence internationale de l’énergie atomique pourrait aider à traiter les préoccupations communes, à restaurer la coopération et, enfin, à engager les États-Unis dans une gestion de leurs différends, à commencer par le dossier nucléaire et les sanctions.
Durant vingt ans, l’Iran a été la cible d’une campagne sécuritaire intense menée par Israël et les États-Unis. Les deux parties ont adopté un comportement de plus en plus hostile : Washington a imposé des sanctions économiques exceptionnelles, allant jusqu’au bombardement d’infrastructures et à l’assassinat de responsables militaires, de scientifiques et de civils.
Défi
Face à cela, l’Iran s’est vu contraint de répondre par des politiques de défi, augmentant l’enrichissement de l’uranium à 60 % et réduisant sa coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique.
Les citoyens ont commencé à débattre de l’opportunité d’intégrer les armes nucléaires à la doctrine de défense iranienne, tandis que les appels à la fermeture du détroit d’Ormuz ont gagné en force.
L’orientation sécuritaire a créé en Iran une mentalité d’état de siège et entraîné des restrictions telles que l’interdiction d’Internet et des réseaux sociaux, ainsi que des mesures de surveillance destinées à traquer espions et saboteurs.
Ces mesures demeurent inefficaces pour résoudre les difficultés économiques, l’érosion du capital social et l’élargissement du fossé entre l’État et la société.
Ces difficultés trouvent leur origine dans les menaces extérieures, qui ont poussé Téhéran à accroître ses dépenses militaires tout en réduisant celles consacrées au développement et à la protection sociale — auxquelles s’ajoutent les sanctions économiques imposées par l’ancien président américain Barack Obama, puis la campagne de « pression maximale » menée par son successeur Donald Trump.
Une issue
Grâce à une diplomatie avisée, l’Iran pourrait trouver une issue — comme lorsqu’il est parvenu à briser, durant la première moitié des années 2010, la logique d’étouffement sécuritaire en dialoguant avec les États-Unis, ce qui a conduit à l’accord nucléaire de 2015 et a, du moins provisoirement, changé l’environnement international à son égard.
L’Iran a pu conclure cet accord grâce à la forte participation aux élections présidentielles de 2013, qui a dissipé aux États-Unis et en Europe l’illusion d’un effondrement imminent du pays, et a brisé la spirale sécuritaire en construisant un large consensus intérieur.
L’Iran peut reconstruire ce consensus. Cela nécessite un dialogue national entre forces politiques, groupes sociaux et population. Le gouvernement peut renforcer la confiance du public en améliorant les conditions de vie, en luttant contre la corruption et en favorisant la transparence.
Il peut également travailler à améliorer son image internationale et donner la priorité à des mesures de confiance axées sur le dialogue avec ses voisins.
Téhéran devrait ainsi passer d’un discours sur la construction d’une « Iran forte », potentiellement perçu comme une menace, à celui de la construction d’une « région forte ».
Mais les pays de la région doivent aussi briser la politisation sécuritaire en isolant l’acteur régional considéré comme le plus responsable de cette impasse : le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, selon la source.
L’Iran devrait renforcer ses relations avec d’autres pays comme la Russie et la Chine, améliorer ses relations avec l’Europe, gérer ses différends avec les États-Unis et reprendre un dialogue direct, sur un pied d’égalité.
L’objectif des discussions ne peut être de restaurer des relations amicales — les différends profonds demeurent — mais les négociateurs peuvent trouver des moyens d’empêcher que ces différends n’enflamment inutilement des crises.
Les États-Unis doivent comprendre qu’ils ne peuvent éliminer les capacités considérables de l’Iran — en grande partie locales et reconstruisibles — mais les deux pays peuvent s’entendre sur deux objectifs : que Téhéran ne développe pas d’armes nucléaires, et que Washington ne menace pas l’Iran par la guerre militaire ou économique.
Comment ?
Pour y parvenir, l’Iran peut offrir plus de transparence, accepter des limites à l’enrichissement et envisager un mécanisme régional, tel qu’une union d’enrichissement. En retour, les États-Unis devraient lever leurs sanctions et permettre la levée de celles des Nations unies.
Les responsables iraniens craignent, à juste titre, que les informations fournies à l’Agence internationale de l’énergie atomique puissent être utilisées à des fins militaires.
Ainsi, Téhéran est en droit d’exiger que l’Agence respecte scrupuleusement ses procédures, ses règles de neutralité, d’objectivité, de confidentialité et la prise en compte des préoccupations de sécurité nationale, en échange de la poursuite de la coopération.
Si Téhéran et Washington parviennent à un nouvel accord nucléaire, ils pourraient ensuite aborder d’autres dossiers épineux : sécurité régionale, limitation des armements, lutte contre le terrorisme.
Les deux pays pourraient également trouver des opportunités de coopération efficace dans des domaines tels que l’éducation, la technologie et la politique étrangère. Ils ont déjà coopéré en Afghanistan et en Irak au début de ce siècle, ainsi que contre l’organisation Daech.
Aujourd’hui, l’Iran et les États-Unis font face, à nouveau, à des défis communs concernant l’extrémisme et la liberté de navigation.
