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Quand la voix du peuple se lève : le conscient populaire peut-il briser le cycle de l’impunité au Soudan ?


Dans un pays marqué par l’accumulation de blessures comme le Soudan, la question centrale n’est pas seulement de savoir qui a commis les violations, mais qui aura le pouvoir de briser le cercle du silence qui laisse les coupables impunis. Bien que les conflits sanglants ayant frappé villes et villages soudanais aient laissé des récits douloureux de meurtres, de pillages, d’enlèvements forcés et de viols, la vérité la plus douloureuse demeure la persistance de l’impunité, enracinée comme une structure, et non un simple dysfonctionnement. Dans ce contexte, le conscient populaire apparaît comme une force latente capable — si elle est organisée et employée avec discernement — de remodeler la relation entre la société et le pouvoir, et de pousser vers un chemin de justice digne des sacrifices des Soudanais.

Parler de conscience populaire au Soudan ne naît pas dans le vide. Depuis la révolution de décembre 2018, les masses ont démontré que leur capacité à imposer une nouvelle réalité n’est pas un simple slogan. Les Soudanais ont offert un modèle unique lorsque la rue est devenue un acteur politique incontournable. Cependant, les événements ultérieurs ont confirmé que toute révolution, sans conscience solide et suivi rigoureux des dossiers liés aux droits, peut être détournée, annulée ou reformulée au profit des centres de pouvoir. Ainsi, renforcer le conscient populaire

aujourd’hui n’est pas un luxe, mais une nécessité urgente déterminant l’avenir du Soudan pour les années à venir.

Au cœur de cette conscience réside la capacité de comprendre les violations comme des questions publiques ayant un impact direct sur l’avenir de l’État, et non comme des incidents isolés ou de simples nouvelles circulant sur les plateformes numériques. Cette transformation exige d’abord de déconstruire le discours qui tente de simplifier la catastrophe soudanaise ou de la présenter comme un conflit entre deux parties égales en responsabilité. Les victimes ne sont pas des chiffres, les violations ne sont pas un destin inéluctable, et les autorités — quelles que soient les circonstances — restent responsables devant la société de protéger les civils et de garantir que les crimes ne se répètent pas.

Le rôle de la société soudanaise devient donc central, car toute procédure visant à tenir les auteurs des violations responsables nécessite une masse critique de citoyens conscients de la gravité du silence et comprenant que la pression populaire n’est pas seulement un droit légitime, mais une responsabilité collective. Les gouvernements successifs au Soudan — civils ou militaires — ont toujours profité de la fragmentation de la société et de la faiblesse des mécanismes de contrôle populaires pour échapper à la justice ou retarder la vérité. Sans conscient populaire organisé, le même scénario se répétera : promesses d’enquêtes, commissions sans résultats, et répétition de la tragédie dans une nouvelle région avec des moyens encore plus brutaux.

Un conscient populaire véritable exige la capacité de suivre les dossiers de violations de manière méthodique. La simple circulation de photos ou de témoignages sur les réseaux sociaux ne suffit pas. Il faut transformer ces témoignages en archives documentées contribuant à la constitution d’un dossier juridique complet pouvant être utilisé devant les tribunaux nationaux ou internationaux. Certaines initiatives civiles ont déjà commencé à recueillir des témoignages de survivants, mais l’ampleur des violations exige une coordination plus poussée et une collaboration entre les organisations de la société civile, les avocats, les journalistes et les activistes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Lancer des campagnes de pression populaires exigeant des résultats concrets est également une étape incontournable. La conscience sans action demeure un savoir silencieux. Les Soudanais doivent transformer leur colère légitime en énergie politique capable de contraindre les autorités — sous quelque forme qu’elles existent — à ouvrir les dossiers, publier des rapports, révéler les noms des responsables et les soumettre à la justice. Cette pression populaire ne signifie pas le chaos ni l’action arbitraire, mais des initiatives réfléchies : sit-in légaux, pétitions publiques, forums de discussion et reddition de comptes permanente vis-à-vis des médias officiels et des instances gouvernementales.

Il est également essentiel de comprendre que le renforcement du conscient populaire ne se limite pas aux grandes villes. Les régions marginalisées — le Darfour, le Kordofan, le Nil Bleu — sont les plus exposées aux violations, mais les moins présentes dans le débat public. Impliquer les habitants de ces régions dans la construction de la conscience est donc une priorité, car ils sont témoins de crimes commis loin des regards du monde. Considérer le Soudan depuis un seul centre constitue une erreur récurrente qui affaiblit toute tentative de justice sociale véritable.

Renforcer le conscient populaire implique également de briser le récit de la peur utilisé par certaines autorités pour dissuader les citoyens de revendiquer leurs droits. La peur est l’alliée de tout pouvoir cherchant à étouffer la vérité. Si la culture du silence persiste, le Soudan deviendra un théâtre permanent de crimes impunis. Promouvoir une culture de courage civique — qui n’implique pas l’imprudence mais l’insistance sur le droit — constitue donc une base essentielle pour libérer la société de ce cercle mortel.

Le rôle de la diaspora soudanais dans cette dynamique ne peut être ignoré. Les Soudanais en Europe, au Golfe et aux États-Unis disposent de plus de liberté de mouvement et peuvent lancer des campagnes de solidarité internationale, communiquer avec les organisations de défense des droits et soutenir les efforts de documentation. La conscience populaire ne se limite plus aux frontières nationales : elle est devenue un réseau transcontinental, et plus ce réseau s’étend, plus il devient facile de briser le silence.

En conclusion, l’avenir de la justice au Soudan ne se jouera pas dans des salles fermées ni dans des déclarations vagues, mais à travers la force du conscient populaire. Cette conscience est l’unique arme capable de remodeler l’équilibre des pouvoirs et d’imposer la vérité à quiconque tente de la dissimuler. Si les Soudanais veulent un État juste respectant la dignité humaine, ils doivent continuer à construire et à exercer cette conscience, car c’est le seul chemin vers un Soudan qui n’a pas peur de son passé et possède le courage de le transformer en un avenir meilleur.

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