La référence religieuse en Irak entre dans le processus de négociations pour choisir un Premier ministre
Des responsables politiques appellent à redéfinir clairement les frontières entre le rôle religieux et le rôle exécutif, exprimant ainsi un refus implicite d’un éventuel engagement de la référence religieuse dans les consultations pour former le gouvernement.
Chaque fois que l’Irak entre dans une nouvelle phase de formation gouvernementale, une question plus large que la simple compétition autour du nom du Premier ministre réapparaît : quelle position adopte la marja‘iyya de Najaf dans ce processus ? Cette plus haute autorité religieuse du pays, malgré son poids symbolique profond dans la conscience politique chiite, a toujours maintenu une distance soigneusement calculée vis-à-vis du conflit pour le pouvoir. Elle n’intervient que dans les moments critiques où les mécanismes de résolution au sein des blocs politiques se bloquent entièrement.
Avec le lancement des premières discussions pour désigner le prochain chef du gouvernement, les spéculations ont refait surface concernant une possible intervention de la marja‘iyya, notamment après des informations selon lesquelles certaines composantes du Cadre de coordination envisageraient de solliciter son avis sur le candidat le plus apte à diriger la prochaine étape.
Ces spéculations ont poussé plusieurs dirigeants politiques à rappeler la nécessité de redessiner les limites entre la fonction religieuse et la fonction exécutive. Parmi eux, Abdulsamad Al-Zarkoushi, dirigeant de l’alliance Al-Asas Al-Iraqi, a déclaré au site Bagdad Today que la marja‘iyya, au cours des dernières années, n’a jamais traité les questions de nomination comme faisant partie de ses attributions. Selon lui, les forces politiques, en tant que représentantes du peuple à travers les urnes, sont les seules habilitées à proposer un Premier ministre, tandis que le Cadre de coordination, en tant que plus grand bloc parlementaire, porte la responsabilité d’avancer un nom qu’il juge capable de gérer la prochaine phase. Il ajoute que toute éventuelle communication avec Najaf, si elle devait avoir lieu, n’aurait pas pour objectif de choisir un candidat, mais de savoir si le pays se trouve au bord d’une crise nécessitant une position religieuse.
À partir de là, un critère clair se dégage concernant la nature de l’intervention de Najaf : elle ne s’implique pas dans les détails du conflit politique, sauf si celui-ci constitue une menace directe pour la sécurité interne ou entraîne un blocage total du processus politique. Dans de tels cas, l’intervention de la marja‘iyya se limite à émettre un avertissement ou une orientation générale, sans imposer un nom précis ni soutenir un camp au détriment d’un autre. Cette approche s’est consolidée après 2003, lorsque la référence religieuse a choisi de rester à l’écart des alignements politiques, se contentant de formuler des principes généraux visant à préserver l’État et éviter son effondrement.
L’examen des étapes précédentes confirme cette ligne de conduite. Lors des élections de 2005, Najaf s’était limitée à encourager la participation sans soutenir aucune liste. En 2006, lorsque les divisions entre factions chiites autour du successeur d’Ibrahim Al-Jaafari se sont intensifiées, la marja‘iyya n’a émis aucun signal concernant les candidats, ce qui a poussé les blocs à trouver eux-mêmes une solution interne menant au choix de Nouri Al-Maliki. Entre 2010 et 2014, elle a maintenu son silence au sujet des débats sur le renouvellement ou le remplacement, se concentrant sur des demandes générales liées à la bonne gouvernance.
Le moment le plus critique est survenu en 2014, après l’invasion par Daech de vastes régions du pays. À l’époque, la référence religieuse avait estimé que la continuité de la direction exécutive n’était plus adaptée au contexte sécuritaire, appelant implicitement à un changement sans proposer d’alternative, ce qui a facilité le consensus autour de Haider Al-Abadi. En 2018, elle avait fixé un seul critère : que la personnalité choisie ne soit pas source de discorde, ce qui a conduit à la nomination d’Adel Abdel Mahdi. Après les manifestations de 2019, Najaf a considéré que le gouvernement ne pouvait plus contenir la crise et a appelé à sa démission sans désigner de successeur, ouvrant la voie à la nomination ultérieure de Mustafa Al-Kazimi. Lors de la formation du gouvernement en 2022, elle avait refusé de recevoir toute délégation, affirmant que la composition du gouvernement relevait strictement du domaine politique.
Aujourd’hui, alors que les spéculations autour du prochain Premier ministre se multiplient, la position de Najaf semble inchangée. Al-Zarkoushi souligne que le dialogue entre les forces politiques n’a pas atteint un niveau nécessitant une intervention religieuse. L’hypothèse d’une intervention demeure donc éloignée tant que les divergences ne menacent pas la stabilité ni ne bloquent le fonctionnement politique.
Alors que certains acteurs tentent d’exploiter la symbolique de Najaf pour obtenir un soutien moral ou influencer les équilibres de pouvoir, la marja‘iyya demeure attachée aux limites de son rôle : intervenir seulement en cas d’extrême nécessité, et se retirer dès lors que le système politique est capable de produire ses propres compromis. Dans cette logique, l’identité du prochain Premier ministre devrait être le résultat du rapport de force entre les blocs parlementaires, et non une décision émanant de la référence religieuse.
Les événements des deux dernières décennies montrent clairement que Najaf n’intervient pas comme un acteur dans la sélection des Premiers ministres, mais agit comme une garantie de stabilité lorsque le processus politique devient incapable de maintenir la paix civile. Tant que les tensions actuelles ne s’orientent pas vers une crise majeure, la référence religieuse restera en retrait, laissant aux forces politiques la responsabilité de désigner la personne qui dirigera le prochain gouvernement.
