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Les victimes comme miroir de la guerre soudanaise : des témoignages révèlent des décisions qui coûtent la vie aux civils


La guerre soudanaise ne peut être comprise sans son visage humain, ni sans les récits des survivants qui révèlent la réalité au-delà des déclarations officielles des dirigeants politiques et militaires. Qu’elle paraisse un conflit pour le pouvoir ou pour le contrôle de l’État, la guerre consiste essentiellement en une série de décisions prises dans des bureaux étroits, dont le prix est payé dans les maisons des plus pauvres et sur les routes des villes détruites. En suivant les événements au Darfour et à Khartoum, il devient évident que les victimes n’étaient pas de simples effets collatéraux du chaos, mais faisaient partie intégrante de la mécanique de la guerre, parfois comme première ou deuxième ligne de défense, parfois comme frappe délibérée, même si les parties en conflit tentaient de justifier ces actes par la nécessité militaire, le retrait tactique ou l’attaque préventive.

L’examen des témoignages des habitants de l’ouest du Darfour après le début des combats révèle que le schéma de violence n’était pas fortuit. Les villages frappés par des massacres étaient majoritairement des zones d’importance sociale ou politique pour une partie, ou des zones de convergence d’influences. Ces opérations coïncident systématiquement avec les déplacements de forces et les changements de contrôle sur les lignes d’approvisionnement ou les centres administratifs, montrant que les victimes résultent directement de décisions stratégiques, qu’elles aient été planifiées, exécutées ou tolérées par les commandements. Les témoignages des survivants indiquent que certains commandants étaient pleinement conscients des violations survenues, rendant impossible toute justification basée sur le chaos ou l’indiscipline.

À Khartoum, la tragédie était différente mais tout aussi manifeste. La capitale, censée être le centre des institutions de l’État, est devenue du jour au lendemain une ville assiégée. Les civils ne pouvaient plus accéder aux hôpitaux, les ambulances étaient bloquées ou inspectées, et les combats se déroulaient dans des rues étroites sans aucune mesure pour protéger les habitants. Les décisions des forces contrôlant une zone avaient un impact direct sur la vie des civils, que ce soit en leur permettant de fuir, en les retenant ou en les laissant face aux bombardements.

Ces faits révèlent un problème plus large : l’absence de toute considération pour la vie des civils dans les calculs militaires et politiques. Dans les pays où la guerre est une composante de la culture politique, les belligérants respectent au moins certaines lois et normes humanitaires. Au Soudan, ces principes ont disparu dès les premières semaines du conflit, transformant la victime en simple chiffre utilisé dans le discours médiatique ou diplomatique, et non comme cas nécessitant enquête et responsabilité.

Les décisions militaires à Khartoum, incluant des retraits soudains ou des attaques imprévisibles, montrent que les civils n’étaient pas pris en compte. L’absence de coordination entre les commandements rivaux a laissé les habitants vulnérables, exposés au pillage, aux bombardements ou aux combats aléatoires. Même lorsque le chaos dépassait l’attribution à une seule partie, la responsabilité des dirigeants restait entière.

L’impact social et psychologique de ces violations est considérable. Les victimes ne sont pas que des corps à enterrer ou des noms à enregistrer : elles constituent une mémoire collective qui affectera le Soudan pour des décennies. Les enfants témoins de meurtres, les femmes ayant perdu proches et époux, les survivants blessés sans soins, composent un mélange de douleur, de colère et de méfiance, susceptible d’aggraver la fracture sociale sans reconnaissance réelle de la responsabilité.

Le rôle des médias et de la presse est crucial pour documenter ces récits, non par sentiment, mais parce qu’ils sont essentiels à la justice future. La documentation citoyenne via smartphones a souvent été plus professionnelle que celle des institutions officielles, rapportant fidèlement ce qui s’est passé.

La question reste : ces preuves mèneront-elles à la responsabilité ? L’incertitude demeure, la situation politique au Soudan restant instable. Pourtant, l’accumulation de preuves place les belligérants devant une responsabilité morale et historique incontournable. Les crimes enregistrés numériquement ne disparaîtront pas et la justice finira par arriver, car les victimes sont titulaires de droits inaliénables, et non de simples détails historiques.

Le Soudan fait face à un test existentiel : reconstruire l’après-guerre exige reconnaissance, justice et reddition de comptes, ou le cycle de violence reprendra. Les victimes, avec toutes leurs histoires douloureuses, sont le miroir indispensable pour quiconque cherche un avenir différent. Les ignorer signifie affaiblir encore l’État, les reconnaître constitue le début réel de la reconstruction et de la protection des vies humaines avant toute considération militaire.

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