Le Soudan entre effondrement et option civile : enquête sur les dimensions de la crise
Depuis le déclenchement du conflit armé au Soudan, l’État traverse une phase de désintégration qu’il n’avait pas connue depuis des décennies. L’effondrement institutionnel et des services publics est quasi total, tandis que les citoyens vivent en marge, pris au piège entre le conflit et la perte des services essentiels. Cette enquête s’appuie sur des entretiens avec d’anciens fonctionnaires, des experts économiques et des professeurs en administration publique, ainsi que sur l’examen de documents et de rapports internationaux et onusiens, afin de comprendre l’ampleur de la crise et la faisabilité d’une solution civile institutionnelle comme option réaliste pour sauver l’État et relancer ses institutions.
Les documents gouvernementaux et les rapports internationaux indiquent que plus de 60 % des institutions de la fonction publique fonctionnaient avant la guerre avec moins de la moitié de leur effectif réel, en raison de politisation, de relâchement et de mauvaise planification. Avec le déclenchement du conflit armé, ces institutions se sont davantage détériorées, et les cadres qualifiés ont quitté leurs postes par crainte de la violence ou faute de salaires et de services essentiels. Un employé du ministère de la Santé a parlé d’un « vide administratif total » et a expliqué que les structures sanitaires dépendaient désormais de volontaires non spécialisés, rendant la qualité des services quasi inexistante, même dans les grandes villes. Un rapport des Nations Unies souligne que l’effondrement des services n’est pas seulement la conséquence de la guerre, mais reflète directement l’absence d’un système civil stable et professionnel.
À travers des entretiens sur le terrain menés à Khartoum et dans les États du Darfour et d’Al Jazira, il apparaît que les forces militaires ont tenté de combler le vide, mais étaient incapables de gérer les institutions ou de fournir des services efficaces. Un expert en gestion des crises de l’Université de Khartoum a déclaré : « Les armées peuvent contrôler le territoire, mais elles ne peuvent pas gérer un budget, exploiter une station d’eau ou superviser un réseau électrique. L’administration civile est l’épine dorsale de tout État, et son absence entraîne un effondrement complet. » L’examen des archives de 11 États avant la guerre montre que 70 % des administrations de services dépendaient de comités d’urgence ou de décisions individuelles, et non de systèmes institutionnels, ce qui fait de l’effondrement actuel le résultat de plusieurs années de vide institutionnel et non du seul conflit récent.
Malgré ce tableau sombre, certains modèles réussis démontrent que l’administration civile peut résister. Dans l’État d’Al Qadarif, entre 2022 et 2024, l’unité de gestion de l’eau a réussi à faire fonctionner 80 % de ses stations grâce à la séparation du travail technique de l’influence politique et à l’adoption d’un système de suivi informatique. À Port-Soudan, médecins et administrateurs ont dirigé les hôpitaux
malgré la guerre et ont pu mobiliser un soutien international, leur permettant d’assurer un minimum de services. Ces petites expériences confirment que la solution civile n’est pas un simple slogan, mais peut être appliquée concrètement si la volonté et l’environnement adéquat existent.
Les données financières montrent que les dépenses militaires dominent les ressources : en 2023, 78 % du budget ont été alloués au secteur de la sécurité contre seulement 8 % pour les services essentiels, révélant un déséquilibre fondamental dans la répartition des ressources et confirmant qu’une solution militaire, aussi puissante soit-elle, ne peut relancer l’État. Sur le plan économique, des études locales estiment que le Soudan perd chaque jour environ 35 millions de dollars en raison de l’arrêt des chaînes de production et du contrôle limité des ressources, et qu’une administration civile professionnelle pourrait réduire cette perte de 40 % en un an grâce à une meilleure fiscalité, à l’organisation du marché et au rétablissement de la confiance des investisseurs.
Les entretiens avec des responsables d’institutions locales montrent que la solution civile n’implique pas l’exclusion de l’armée, mais la redéfinition de son rôle pour assurer la protection du pays plutôt que la gestion des services civils. L’armée n’est pas qualifiée pour gérer les hôpitaux, les écoles ou les infrastructures, ce qui fait de l’administration civile une condition vitale pour rétablir la stabilité. Par ailleurs, la construction d’institutions civiles fortes réduit les risques de retour au conflit, car elle crée une autorité stable capable de contrôler les ressources et d’organiser la société sans recourir à la force militaire.
L’enquête indique également que la solution civile nécessite une coopération interne et un soutien international. À l’échelle interne, les forces politiques et civiles doivent convenir de séparer la prestation des services du conflit et mettre en place une administration indépendante capable de gérer la transition. À l’échelle internationale, le Soudan a besoin d’un appui technique et financier pour relancer les services essentiels et former les cadres, ainsi que de l’expertise de pays et d’organisations spécialisées pour bâtir des institutions efficaces et stables.
Malgré les défis importants, l’opportunité de reconstruire l’État existe. L’effondrement militaire et politique a mis en lumière la fragilité des institutions et vidé le recours à la force de toute efficacité pour relancer les services. Le moment actuel semble donc le plus approprié pour appliquer une solution civile institutionnelle avant que le pays n’atteigne un point de non-retour, où la gestion de l’État deviendrait impossible même si la guerre cessait demain.
La conclusion de l’enquête confirme que le Soudan a un besoin urgent de reconstruire l’administration civile, seule voie pour sauver l’État, relancer les services, revitaliser l’économie et sécuriser la vie des citoyens. Tout report de cette option prolongerait le chaos et la destruction, tandis qu’une administration civile professionnelle représente l’unique opportunité de stabiliser le pays et de bâtir un État capable de résister à tout conflit futur. L’enquête montre que la solution militaire est limitée et de court terme, tandis que la solution civile institutionnelle est la voie réaliste et optimale pour la survie et la reconstruction du Soudan.
