Les Frères musulmans en Jordanie… Amman tourne la page et Washington écrit la conclusion
Un coup américain faisant suite à une autre mesure jordanienne a infligé une mort cérébrale à l’organisation des Frères musulmans en Jordanie, mettant fin à toute possibilité d’activité clandestine et exposant ouvertement son caractère terroriste.
Lundi dernier, le président américain Donald Trump a signé un décret présidentiel ouvrant la voie à la désignation des branches des Frères musulmans en Jordanie, en Égypte et au Liban comme organisations terroristes étrangères. Cette décision constitue un coup majeur porté au groupe, après une interdiction imposée par Amman sur ses activités au printemps dernier.
Ces actions successives écrivent la dernière ligne de l’histoire des Frères musulmans en Jordanie, une histoire qui remonte aux années 1940. Elles coupent les voies de financement et mettent en lumière la dimension terroriste de l’organisation.
Plans terroristes
Ces mesures interviennent après que les autorités jordaniennes ont déjoué des plans des Frères musulmans visant à « porter atteinte à la sécurité nationale », comprenant la fabrication de roquettes, la possession de matériaux explosifs, et l’arrestation de 16 personnes impliquées.
Les projets incluaient la fabrication de roquettes à partir de matériaux locaux et importés à des fins illicites, la possession d’explosifs et d’armes à feu, la dissimulation d’une roquette prête à l’emploi, le développement de drones, ainsi que le recrutement et la formation de membres à l’intérieur du pays et à l’étranger.
Ce n’est pas la première fois que le groupe est impliqué dans des actes terroristes directs. Il y a quelques années, quatre députés du Front d’action islamique avaient publiquement fait l’éloge du terroriste irakien Abou Moussab al-Zarqaoui, figure majeure d’Al-Qaïda, alors que 59 % des Jordaniens le considéraient comme un terroriste.
En novembre 2014, les autorités jordaniennes avaient arrêté 31 personnes accusées d’appartenir à une cellule des Frères musulmans impliquée dans le transfert d’armes et d’argent vers des terroristes présumés en Cisjordanie, tout en mettant en place une branche armée clandestine du groupe en Jordanie.
Ces complots dirigés contre l’État ont fait perdre au groupe tout soutien populaire, dans un pays où les citoyens accordent une grande importance à la stabilité nationale, perçue comme une ligne rouge. Le roi Abdallah II lui-même avait décrit publiquement les dirigeants des Frères musulmans comme des « loups déguisés en agneaux » dans une interview accordée au magazine The Atlantic en 2013.
Historique du groupe
Les Frères musulmans sont apparus pour la première fois en Jordanie dans les années 1940, obtenant une licence officielle comme association caritative affiliée au mouvement égyptien l’année suivante.
En 1953, ils obtiennent une deuxième licence pour fonctionner en tant qu’organisation religieuse islamique.
Selon une dépêche de l’ambassadeur américain Edward Gnehm datant d’il y a plus de vingt ans, « les Frères musulmans de Jordanie ont été fondés en 1945 comme une extension du mouvement égyptien ». Il rappelle que le roi leur avait permis de se présenter comme une institution religieuse à une époque où les partis politiques étaient interdits, ce qui leur avait permis de développer leur structure et leur influence, tandis que les autres mouvements étaient contraints d’agir dans la clandestinité.
Durant les quarante dernières années, le mouvement a promu ses idées politiques en contrôlant des associations professionnelles, en menant des activités sociales et en développant des programmes de soutien modestes, ainsi que des efforts médiatiques.
Le tournant décisif pour la branche jordanienne survient au début des années 1990, lorsqu’elle crée son parti politique, le Front d’action islamique, et met en avant des figures modérées pour gagner en influence. Mais les divisions internes et l’ascension du mouvement Hamas en Palestine affaiblissent rapidement l’organisation.
Structure et réseaux
Aujourd’hui, la mouvance islamique jordanienne désigne les Frères musulmans et leur bras politique, le Front d’action islamique. Chacun possède sa propre structure dirigeante, mais tous deux dépendent du Conseil consultatif (Majlis al-Shura).
Ce conseil se compose de 50 membres : 33 à 35 sont élus par les branches locales, 12 par les Frères musulmans vivant à l’étranger, et 5 sont désignés comme observateurs. L’ensemble du conseil élit la direction.
Depuis des décennies, les Frères musulmans exploitent des causes sensibles pour les Jordaniens, comme les attaques israéliennes à Gaza, afin de gagner du soutien.
Le mouvement bénéficie également de plusieurs sources de financement. Selon une dépêche secrète de l’ambassadeur américain David Hale, les institutions affiliées au mouvement représenteraient environ 700 millions de dollars, fournissant ainsi une base organisationnelle solide au groupe et à son parti politique.
En 2020, la Cour de cassation jordanienne a officiellement dissous les Frères musulmans et interdit leurs activités. Après un décret gouvernemental publié en avril dernier, le mouvement a été définitivement interdit et ses biens confisqués, mettant ainsi fin à sa présence officielle dans le pays.
