Un rapprochement entre Ankara et les autorités de l’Est libyen déstabilise le gouvernement Dbeibah
Les visites successives de Saddam Haftar à Ankara en un laps de temps très court, ainsi que l’accueil officiel qui lui a été réservé, reflètent un tournant majeur et pragmatique dans la politique turque à l’égard du dossier libyen.
Ces visites répétées de Saddam Haftar, vice-commandant général des forces armées libyennes, en Turquie sur une période restreinte, et l’accueil officiel qui lui a été accordé, indiquent un changement profond et pragmatique dans la politique d’Ankara concernant la Libye, ainsi que la volonté des deux parties de consolider un partenariat militaire et économique. Ce changement stratégique notable crée une situation d’embarras pour le gouvernement de l’Ouest dirigé par Abdelhamid Dbeibah.
Après des années de soutien au gouvernement de l’Accord national, puis au gouvernement d’unité nationale en fin de mandat, contre les forces du maréchal Khalifa Haftar, la Turquie a décidé d’adopter une politique plus équilibrée et réaliste, ayant compris que le commandement général à l’Est représente une force militaire stable et influente qui ne peut être ignorée dans toute solution future. Cette évolution est motivée par son souhait de garantir ses intérêts auprès de tous les acteurs libyens.
Ankara cherche à ouvrir la voie à une extension de sa présence économique dans l’Est libyen, notamment dans les domaines de la reconstruction et des infrastructures, sans limiter ses relations au gouvernement de l’Ouest. Ce rapprochement contribue également à rééquilibrer son rôle régional et à élargir son réseau de partenariats.
Haftar a rencontré vendredi à Ankara le ministre turc de la Défense, Yaşar Güler, dans le cadre d’une visite officielle. Le commandement général de l’armée nationale a indiqué que la réunion s’était concentrée sur l’évaluation des évolutions internationales et les moyens de renforcer la coopération militaire entre les deux parties, avec une attention particulière accordée aux défis sécuritaires régionaux et aux efforts de stabilisation. Des rapports ont mentionné la signature d’accords militaires portant sur la formation et l’achat d’équipements.
Le rapprochement entre la Turquie et les autorités de l’Est libyen est perçu comme un mouvement stratégique visant à s’inscrire dans l’espace de rivalité avec la Russie, qui dispose d’une présence militaire importante et influente dans la région, notamment par son engagement direct auprès des forces de Haftar. Ankara cherche ainsi à réduire la dépendance de l’Est libyen à l’égard d’autres puissances et à garantir sa propre position stratégique.
Ces visites envoient également un message clair à certains pays de la région, comme la Grèce, indiquant que la Turquie est capable de nouer des relations avec des acteurs considérés comme alliés par ces États, renforçant ainsi sa position sur des dossiers comme les frontières maritimes en Méditerranée orientale.
L’accueil officiel réservé aux dirigeants de l’Est libyen reflète la préférence d’Ankara pour des partenariats avec des institutions militaires organisées et stables, telles que le commandement général, plutôt qu’avec des groupes armés disparates et indisciplinés présents dans certaines zones de l’Ouest.
À travers ces visites, Saddam Haftar cherche à renforcer la position des forces du commandement général sur les plans international et régional, et à s’imposer comme une figure clé de la scène libyenne, capable de négocier et de conclure des accords au plus haut niveau.
Les forces de l’Est s’efforcent de diversifier leurs sources de soutien militaire, politique et économique, plutôt que de les limiter à leurs alliés traditionnels, ce qui leur offre une marge de manœuvre plus large. Toutefois, les visites de Saddam Haftar à Ankara ont provoqué un certain trouble parmi des responsables du gouvernement d’unité nationale et des groupes armés de l’Ouest, qui y voient une reconnaissance implicite par la Turquie du rôle des forces de l’Est en tant qu’acteur militaire structuré.
Dans un contexte parallèle, Belqassem Haftar, directeur du Fonds libyen pour le développement et la reconstruction, mène des efforts pour attirer des investissements étrangers dans l’Est libyen. Mardi dernier, il a signé à Paris un protocole d’accord entre l’Autorité nationale libyenne de développement et Business France, avant de se rendre vendredi à Moscou pour rencontrer le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov afin de discuter de coopération dans les domaines de la reconstruction et du développement.
Des sources libyennes évoquent également des discussions préliminaires susceptibles de déboucher sur une visite prochaine de Khaled Haftar, récemment nommé chef d’état-major, en Italie dans les semaines à venir, après une visite officielle qu’il a effectuée en Grèce.
