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L’administration civile institutionnelle : la seule voie pour sauver le Soudan de l’effondrement et restaurer son économie


Au milieu de l’effondrement politique et économique que traverse le Soudan depuis des années, une conviction croissante s’est formée au sein de larges segments de la société : la poursuite de la gestion militaire de l’État n’est plus une option viable. Les guerres répétées, les coups d’État incessants et les décisions improvisées n’ont fait qu’aggraver la crise au lieu de l’endiguer. Avec l’accumulation des pertes humaines et matérielles, le besoin d’une solution civile institutionnelle s’est imposé, non comme une simple transition formelle vers un gouvernement civil, mais comme un véritable projet de construction d’un État gouverné par la loi et les institutions, et fondé sur une vision de développement qui ne repose pas sur la force militaire pour administrer la société ou l’économie.

La réalité soudanaise a démontré que la gestion de l’État par des décisions militaires conduit directement à la paralysie des services essentiels. Les hôpitaux manquent d’équipements, les écoles d’enseignants qualifiés, l’électricité n’atteint la plupart des villes qu’épisodiquement, et l’accès à l’eau potable est devenu un défi quotidien dans de vastes régions. Cette crise n’est pas uniquement le fruit de la dernière guerre, mais le résultat cumulatif de décennies de mauvaise gestion, marquées par la marginalisation des institutions civiles, l’affaiblissement du service public et sa transformation en un appareil soumis au pouvoir plutôt qu’en une structure professionnelle capable de planification, d’exécution et de suivi. La solution civile institutionnelle n’est donc pas une idée théorique, mais une nécessité imposée par l’effondrement total des mécanismes de l’État et par l’incapacité de toute autorité armée à bâtir un système capable de fournir des services durables.

Dans les États modernes, les services publics reposent sur des systèmes complexes de planification, de gestion des ressources humaines, de contrôle financier et de reddition de comptes, autant d’éléments impossibles à instaurer en l’absence d’institutions civiles indépendantes. Le Soudan doit reconstruire l’ensemble de son appareil administratif, en formant de nouveau ses cadres, en modernisant les réglementations et en redéfinissant la répartition des compétences entre le centre et les États fédérés. Sans organisme central de planification capable de hiérarchiser les priorités, les services continueront de se dégrader quels que soient les financements injectés ou les gouvernements successifs. De même, l’absence de mécanismes de contrôle rend toute tentative de reconstruction vulnérable aux dérives, où le désordre institutionnel et la corruption absorbent tout progrès potentiel.

Cette situation conduit à une vérité fondamentale : l’économie soudanaise ne pourra se relever sans l’adoption d’un modèle d’administration civile institutionnelle. L’économie ne peut fonctionner efficacement dans un environnement dominé par la tutelle militaire, où des réseaux d’influence contrôlent les ressources de l’État et où les institutions productives sont gérées selon des critères de loyauté plutôt que de compétence. Certains secteurs économiques majeurs se sont transformés en quasi-féodalités administrées par des groupes armés contrôlant les exportations, les importations et imposant des prélèvements illégaux, ce qui a provoqué la fuite des investissements, la sortie des capitaux et l’expansion d’une économie parallèle échappant totalement à l’État.

Seul un modèle civil institutionnel peut démanteler cette économie parallèle et réintégrer les ressources dans un cadre national soumis à la transparence financière et à la responsabilité. Le développement économique ne consiste pas uniquement à accroître la production, mais à bâtir une structure institutionnelle qui met les ressources au service de l’État et de la société. Par exemple, le secteur aurifère pourrait représenter une immense source de devises, mais il est actuellement dominé par des groupes armés et des réseaux de contrebande, privant le pays de ses richesses. Il en va de même pour l’agriculture, autrefois pilier de l’économie soudanaise, désormais en ruine du fait de l’absence de politiques institutionnelles, d’infrastructures logistiques et d’une gestion financière stable.

Le Soudan a besoin d’institutions financières indépendantes permettant à l’État d’établir des politiques monétaires claires, capables de réduire l’inflation, de restaurer la confiance dans la livre soudanaise et de financer le développement plutôt que la guerre. Cela implique de mettre fin au contrôle des institutions militaires sur les banques et les entreprises productives, qui doivent être réintégrées dans le cadre de l’État civil. Une économie ne peut être administrée depuis les casernes, car la logique de la guerre est incompatible avec celle du développement.

La transition vers une administration civile institutionnelle sera difficile, car de nombreux acteurs profitent du chaos et refusent l’émergence de mécanismes de contrôle. Pourtant, la construction d’un État civil n’est pas impossible : elle nécessite une volonté politique et populaire capable de s’accorder sur de nouvelles règles du jeu. Le processus peut commencer par l’élaboration d’une constitution transitoire définissant clairement le rôle de l’armée, la plaçant sous autorité civile élue, réorganisant les relations entre centre et États, et séparant les pouvoirs afin de prévenir toute concentration d’autorité et garantir la transparence.

La réussite de cette transition passe également par la réhabilitation du service public, en réintégrant les cadres expérimentés, en mettant fin à l’ingérence politique et militaire, et en adoptant un système professionnel d’examens et d’évaluation garantissant la qualité du recrutement et de l’avancement. Le Soudan étant vaste et complexe, l’administration locale doit jouer un rôle central dans la fourniture des services, tout en s’inscrivant dans un cadre national unifié soumis à la supervision et doté des ressources nécessaires.

La société civile peut être un partenaire essentiel dans cette phase, en surveillant les performances du gouvernement, en contribuant à l’élaboration des politiques et en sensibilisant le public à l’importance de la gouvernance institutionnelle. Le secteur privé peut également participer à la reconstruction, à condition que cela se déroule dans un cadre juridique clair garantissant la concurrence équitable et protégeant les investisseurs des risques liés à l’insécurité et aux pratiques illégales.

L’administration civile institutionnelle ne signifie pas l’exclusion de l’armée, mais la redéfinition de son rôle naturel : protéger les frontières et la souveraineté, sans intervenir dans l’économie ou la politique. Une armée professionnelle forte est un pilier fondamental de la construction de l’État, à condition qu’elle soit soumise à la supervision civile et séparée des affaires économiques.

Le Soudan se trouve aujourd’hui à un tournant historique : poursuivre le cycle des guerres et de l’effondrement, ou emprunter la voie de l’État civil institutionnel, qui constitue la seule option permettant la reconstruction des services, la relance de l’économie et l’établissement d’un environnement politique stable capables de remettre le pays sur la voie du développement. Il ne s’agit pas simplement de changer la structure du pouvoir, mais de reconstruire toute une philosophie de gouvernance fondée sur le citoyen, la transparence, la reddition de comptes et la primauté de la loi. L’avenir du Soudan dépend de la capacité des Soudanais à adopter cette transition et à protéger leurs institutions des logiques politiques destructrices et de la violence armée. Le chemin sera long et ardu, mais c’est le seul qui puisse rendre au pays sa stabilité, sa justice et sa dignité.

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