Politique

Vol des dons pour Gaza… Les dessous des divisions internes au sein du Hamas


En janvier 2024, des comptes non officiels proches du mouvement palestinien Hamas ont publié une déclaration intitulée «Lever la couverture sur des institutions et des personnes». Ce texte mettait en garde contre des organisations collectant des dons et de l’argent au nom de Gaza, mais qui, en réalité, s’approprieraient ces fonds sans qu’ils n’arrivent jamais dans la bande assiégée.

La fuite de cette déclaration a suscité une large controverse, car elle évoquait le détournement de dons en pleine guerre israélienne contre Gaza. L’affaire s’est ensuite apaisée, avant de refaire surface ces derniers jours, après l’apparition de dirigeants affiliés aux Frères musulmans dans une publicité pour une conférence de collecte de fonds pour Gaza organisée par la fondation «Waqf Al-Ummah», l’une des institutions mentionnées dans la déclaration divulguée il y a près de deux ans.

L’annonce de la conférence de Waqf Al-Ummah, inscrite dans une campagne intitulée «Fidélité à Gaza», a ravivé la question du détournement des dons supposés être destinés au secteur. Le communiqué non officiel attribué au Hamas a de nouveau circulé, affirmant que le mouvement et les dirigeants des Frères musulmans participant à la conférence étaient impliqués dans le détournement de l’aide. Toutefois, cette affaire ne représentait que la partie émergée de l’iceberg.

La résurgence de cette question est liée aux divisions internes du Hamas entre deux courants : l’un dirigé par Khaled Mechaal, chef du bureau de la diaspora et ancien chef du bureau politique, et l’autre proche de l’axe iranien, conduit par Khalil Al-Hayya, chef de la délégation de négociation et responsable du bureau de Gaza.

Le différend s’est intensifié après la conclusion d’un accord de cessez-le-feu entre le Hamas et Israël, sous médiation américaine, égyptienne, qatarie et turque, le 9 octobre dernier. Des fuites concernant la situation interne du mouvement ont alors émergé.

Parmi les signaux révélateurs de ces tensions figurait un communiqué officiel du Hamas mettant en garde contre des comptes sur les réseaux sociaux accusés de diffuser de fausses informations sur le mouvement. Certains de ces comptes étaient connus pour leur proximité avec Khaled Mechaal.

Waqf Al-Ummah et l’organisation internationale des Frères musulmans

Ce qui a attiré l’attention dans l’affaire Waqf Al-Ummah fut la présence de dirigeants des Frères musulmans, organisation classée terroriste dans plusieurs pays, dans la publicité du congrès. Selon des publications sur les réseaux sociaux, la fondation aurait détourné près d’un demi-milliard de dollars de dons. Parmi les noms cités figurent : Ali Al-Qaradaghi, président de l’Union internationale des savants musulmans, son adjoint Mohamed Al-Dadou, le secrétaire général Al-Sallabi, Jamal Abdel Sattar et d’autres, sous la supervision du directeur de Waqf Al-Ummah, Ahmad Al-Omari, dont le nom apparaissait également dans la déclaration d’avertissement.

Selon une source informée, les trois institutions mentionnées dans le communiqué de janvier 2024 – Waqf Al-Ummah, Minbar Al-Aqsa et «Nous sommes tous Maryam» – sont affiliées à l’organisation internationale des Frères musulmans. Celle-ci est intervenue dans la crise déclenchée par la publication de la déclaration il y a environ deux ans.

La même source a indiqué que des débats internes avaient eu lieu au sein du Hamas concernant la publication de cet avertissement. Khaled Mechaal s’y était opposé, poussant le courant rival à le divulguer clandestinement à des militants numériques, notamment le compte de Khaled Mansour sur X, qui l’a diffusé dans le cadre du conflit organisationnel au sein du mouvement.

L’existence d’une relation directe entre Khaled Mechaal et Ahmad Al-Omari. De plus, Ahmad Al-Sayyid, le gendre de Mechaal, travaille comme directeur marketing dans cette fondation.

Selon une deuxième source proche du Hamas, des détournements de fonds destinés à Gaza et aux territoires palestiniens ont effectivement eu lieu. Les plaintes ont été soumises au comité financier du Hamas plus de deux ans avant l’opération du 7 octobre 2023. L’affaire était parvenue jusqu’à Ismaïl Haniyeh, alors chef du bureau politique, qui avait promis de l’examiner.

Des négociations ont ensuite eu lieu entre les responsables des trois organisations et la direction du Hamas, dont Ismaïl Haniyeh, afin de récupérer les fonds détournés. Haniyeh avait demandé une résolution du conflit après restitution des sommes, mais les divergences se sont accentuées et les fonds n’ont pas été récupérés.

La source estime que le montant détourné atteindrait environ 300 millions de dollars, bien qu’aucune confirmation indépendante n’ait pu être obtenue.

Après l’impasse, la direction du Hamas, sous la présidence de Haniyeh, a décidé de divulguer l’affaire sur les réseaux sociaux. Le communiqué «Lever la couverture sur des institutions et des personnes» a alors été publié. Il citait les trois institutions et plusieurs noms : Saïd Abou Al-Abd (nom de guerre de Yazid Noufal), responsable de Waqf Al-Ummah, Fouad Al-Zubaidi, Samir Saïd, Khaldoun Hijazi, Zaid Al-Ays et Ahmad Al-Omari.

Pour sa part, Waqf Al-Ummah a publié en janvier 2024 un communiqué affirmant être une institution turque et annonçant son intention de poursuivre en justice toute personne l’accusant de détournement de fonds.

À la même période, la fondation a soumis Yazid Noufal, Samir Saïd et Fouad Al-Zubaidi à une enquête interne secrète. Des irrégularités financières et administratives ont été confirmées et la fondation leur a demandé de restituer les sommes volées. Certains auraient acheté des biens immobiliers, mais aucune restitution n’a été effectuée et l’organisation a dissimulé l’affaire.

Certains des impliqués ont quitté la région pour s’installer en Europe, où ils ont fourni des renseignements à des services de sécurité européens concernant des réseaux de financement liés au Hamas, information qui n’a pas été rendue publique.

Par la suite, Fouad Al-Zubaidi, l’un des accusés, a créé une nouvelle structure de collecte de fonds sous la supervision d’Ahmad Al-Omari, afin d’en faire un substitut potentiel à Waqf Al-Ummah si celle-ci venait à être suspendue en raison des controverses.

Par ailleurs, l’organisation internationale des Frères musulmans a récemment discuté de l’affaire Waqf Al-Ummah, après la grande polémique provoquée par la participation de ses dirigeants au congrès de la fondation. L’organisation a décidé de contenir la crise et d’éviter toute escalade.

Elle a également décidé de limiter la publication de toute communication officielle concernant les détournements aux seules plateformes médiatiques qui lui appartiennent, afin que la tempête actuelle se dissipe comme celle de 2024.

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