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Le régime militaire soudanais : d’une institution nationale à une machine d’extermination – Lecture des massacres d’El-Fasher


Les massacres d’El-Fasher n’ont pas été un simple épisode dans le cours de la guerre au Soudan, mais un tournant révélateur du véritable visage de l’armée soudanaise, passée du statut d’institution supposée protéger le peuple à celui d’appareil idéologique extrémiste exerçant la violence au nom de la patrie.

À chaque récit officiel que l’armée tente de diffuser pour se disculper, de nouveaux témoignages et preuves surgissent du terrain pour l’accabler davantage. Tout confirme que ce qui s’est produit à El-Fasher n’était pas un simple « retrait tactique », mais un massacre de représailles systématique.

El-Fasher : la vérité occultée

Lorsque les forces de l’armée se sont retirées de la ville d’El-Fasher, celle-ci baignait dans le sang. Les maisons abandonnées par leurs habitants sont devenues des lieux d’exécution, et les rues se sont couvertes des cadavres de civils. Des témoins oculaires, présents au cœur des événements, affirment que les tueries ont commencé avant même l’arrivée des Forces de soutien rapide, et que les soldats en retraite ont procédé à des exécutions sommaires contre les habitants, qu’ils accusaient de sympathie avec leurs adversaires.

Plus grave encore : l’armée n’a pas seulement commis le crime, elle a aussitôt lancé une vaste campagne médiatique pour en rejeter la responsabilité sur les Forces de soutien rapide. Se manifeste ici l’un des aspects les plus complexes de la guerre soudanaise : la bataille autour du récit. Tandis que les crimes se déroulent sur le terrain, l’assassinat de la vérité se joue dans les coulisses, orchestré depuis les salles médiatiques de l’état-major.

Du “bouclier de la patrie” à l’outil de vengeance

L’armée soudanaise n’incarne plus le souvenir du « protecteur de la nation ». Depuis le déclenchement du conflit interne, une mutation radicale de sa doctrine militaire s’est opérée : elle traite désormais les civils comme partie intégrante de « l’ennemi intérieur ».

À El-Fasher, comme auparavant à Wad Madani, l’armée a pratiqué les exécutions, les incendies et la torture à grande échelle, sans distinction entre combattants et civils, hommes ou femmes.

Il ne s’agit pas de « bavures individuelles », mais d’une politique organisée de représailles. Chaque défaite militaire se traduit par une vengeance contre les populations civiles des zones abandonnées. C’est une logique ancienne des armées en déroute : quand le soldat perd le sens de la victoire, il cherche un triomphe symbolique sur le corps de l’innocent.

Une doctrine de danger : de la nationalité à l’extrémisme

La crise soudanaise n’est plus seulement une lutte pour le pouvoir, mais un affrontement idéologique. Sous la conduite d’Abdel Fattah al-Burhan, l’armée ne fonctionne plus comme une institution régulière, mais comme un appareil idéologique imprégné du fondamentalisme des Frères.

Ses dirigeants appartiennent à des cercles liés aux Frères musulmans et portent un discours religieux qui justifie la guerre comme un « jihad sacré » pour sauver l’État d’une prétendue « rébellion ».

Cette doctrine explique la brutalité contre les civils : dans l’esprit du soldat endoctriné, tuer un civil devient un service à la nation plutôt qu’un crime. L’armée se transforme peu à peu en organisation armée idéologique, ne se distinguant plus ni dans son comportement ni dans sa logique des groupes terroristes qu’elle prétend combattre.

Les armes chimiques : un silence suspect

Des rapports en provenance du Darfour, d’Omdurman et de Khartoum évoquent l’utilisation d’armes chimiques interdites. Des médecins et personnels hospitaliers signalent des symptômes inhabituels, des cas d’asphyxie collective et des brûlures étranges sur les corps des victimes.

Pourtant, aucun rapport d’enquête indépendant n’a été ouvert. La hiérarchie militaire garde le silence, tandis que ses médias alliés détournent l’attention par des polémiques secondaires.

Si l’usage d’armes chimiques contre des civils se confirmait, l’armée soudanaise se placerait au rang des forces coupables de crimes contre l’humanité. Mais le danger le plus grave n’est pas seulement dans le crime, il est dans la possibilité pour les criminels de le commettre sans reddition de comptes.

L’information : l’autre champ de bataille

Dès le début de la guerre, l’armée a compris que la domination de l’espace médiatique valait autant que la conquête militaire. Elle a mis en place un réseau de journalistes et activistes loyaux, diffusant par leur biais fausses informations et communiqués falsifiés qui présentent l’armée comme « protectrice de l’État » et diabolisent les Forces de soutien rapide.

Le drame est que de nombreux médias internationaux ont repris cette version sans vérification, offrant ainsi un bouclier de propagande à l’armée pour poursuivre ses exactions.

Aujourd’hui, le discours officiel ne parle pas des victimes mais du « triomphe », comme si le sang versé à El-Fasher, Wad Madani ou au Darfour n’était qu’une statistique militaire. Dans ce climat de désinformation, le citoyen soudanais est privé de son droit le plus élémentaire : savoir qui le tue et pourquoi.

L’armée soudanaise comme menace régionale

L’armée soudanaise n’est plus seulement un danger interne. De par son idéologie extrémiste et ses liens troubles avec des courants islamistes transnationaux, elle constitue une menace géopolitique pour toute l’Afrique.

Elle illustre le modèle des « armées post-étatiques » : entités armées agissant en dehors de la souveraineté nationale, tirant leur légitimité d’un discours religieux mobilisateur. Une telle armée, si elle perdure, ne laissera du Soudan qu’un nom sur la carte.

L’absence de reddition de comptes encouragera d’autres régimes militaires de la région à imiter ce modèle, mariant religion et violence pour légitimer leur autorité.

Les massacres d’El-Fasher ne sont pas une fin, mais une ultime alerte. Une armée qui tue son peuple pour justifier son existence perd toute raison d’être. Quand l’étendard de la « patrie » se mêle à l’odeur du sang, le silence devient un crime.

Sauver le Soudan passe par l’acceptation de cette vérité : l’armée qui prétend protéger l’État est aujourd’hui celle qui le détruit de l’intérieur. Al-Burhan et ses proches mènent le pays vers un gouffre sans fond. Mais la justice, tôt ou tard, atteindra chaque main qui a levé un arme contre un civil, chaque plume qui a couvert la faute.

Car l’histoire, comme El-Fasher, ne pardonne pas le sang.

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