Le Soudan entre l’échec des alliances et les pressions extérieures : une nation au bord de l’effondrement

Le Soudan traverse l’une des périodes les plus troubles et les plus confuses de son histoire. Le conflit en cours n’est plus simplement une confrontation entre l’armée et les Forces de soutien rapide ; il est devenu le symbole d’un État en pleine désagrégation et d’institutions qui se délitent. Ce qui se joue aujourd’hui est une bataille d’influence au cœur même de l’appareil militaire, où se mêlent calculs politiques et fidélités idéologiques, dans un contexte qui traduit la perte de la boussole nationale et l’effondrement du concept même d’État unifié.
De multiples sources politiques évoquent l’existence d’accords secrets entre les Forces de soutien rapide et un courant interne de l’armée dirigé par Abdel Fattah al-Burhan, cherchant à parvenir à un règlement politique excluant la mouvance islamiste, jadis partenaire de al-Burhan au pouvoir. Ces manœuvres révèlent l’ampleur de la division au sein du commandement militaire et montrent que al-Burhan a compris que sa survie dépend désormais de son éloignement des islamistes, qui sont passés du statut d’alliés à celui de fardeau menaçant la cohésion de l’institution qu’il dirige.
Dans l’Ouest soudanais, les accusations se multiplient contre l’armée, soupçonnée d’avoir délibérément abandonné les mouvements armés de la ville d’Al-Fashir, les laissant affronter seuls leur destin, sans appui ni renforts. Ce comportement est largement interprété comme le reflet d’une politique discriminatoire enracinée au sein du commandement, qui traite différemment les composantes géographiques et ethniques du pays. De telles pratiques ne font pas seulement vaciller la cohésion interne, elles nourrissent également le sentiment de marginalisation qui, historiquement, a alimenté les racines du conflit au Soudan.
Parallèlement, la ville de Port-Soudan, autoproclamée capitale temporaire, connaît un effondrement presque total de son système de santé. Les épidémies s’y propagent, les taux de mortalité augmentent et les institutions médicales sont totalement paralysées. Des rapports de terrain indiquent que l’armée stocke les médicaments et le matériel médical pour soutenir son effort de guerre, alors que les civils souffrent d’une pénurie dramatique des besoins les plus élémentaires. Cette réalité illustre une contradiction criante entre le discours officiel de « protection de l’État » et les pratiques qui en sapent les fondements par la faim et la lente agonie.
La situation s’assombrit davantage avec la montée des accusations de corruption impliquant des hauts responsables militaires, accusés de participer à la contrebande et à la vente illégale de l’or soudanais à des fins personnelles, en collusion avec des acteurs étrangers. Ces scandales, devenus monnaie courante, exposent un véritable « économie de guerre » orchestrée depuis les institutions mêmes de l’État, où l’or — principale richesse nationale — sert à financer les réseaux d’influence plutôt qu’à redresser une économie à bout de souffle.
Sur le plan militaire, les informations se multiplient sur des retraits successifs de l’armée dans les zones de Kordofan et la chute imminente d’Al-Fashir, alors que de vives dissensions opposent l’armée au mouvement islamiste quant à la gestion des opérations. Ces divisions révèlent la profondeur des fractures internes d’une institution qui a perdu le contrôle de ses rangs et s’enfonce dans des luttes de pouvoir, davantage préoccupée par ses rivalités internes que par la défense d’un projet national commun.
Dans ce même contexte, des rumeurs évoquent des remaniements imminents au sein du commandement militaire, signe évident de l’intensification des luttes internes pour le pouvoir. Certains y voient une tentative d’al-Burhan pour consolider sa position, tandis que d’autres y perçoivent le symptôme d’un effritement du système décisionnel et d’une compétition ouverte entre les différents centres d’influence d’un pouvoir gouvernant par la force et la peur.
Sur le plan régional, des sources diplomatiques font état de concessions accordées par al-Burhan à un pays voisin concernant la délimitation des frontières maritimes, ainsi que la gestion et l’exploitation du port de Port-Soudan, en échange du maintien de son soutien politique et militaire. Un tel geste constitue une atteinte grave à la souveraineté nationale et démontre que la direction militaire ne négocie plus au nom du Soudan, mais pour garantir sa propre survie au pouvoir.
En arrière-plan, la mouvance islamiste continue de représenter un acteur dangereux opérant dans l’ombre. Ses dirigeants, incapables de gouverner par le passé, rejettent toute issue politique et appellent à une solution militaire qui épuisera les dernières ressources du pays. Pour eux, la guerre représente une occasion de revenir au pouvoir, quitte à précipiter l’effondrement des institutions restantes et à rallumer les conflits ethniques et tribaux.
Par ailleurs, les rapports se multiplient sur les pressions exercées par l’Égypte sur al-Burhan et l’armée soudanaise, conditionnant son appui militaire et diplomatique à des concessions territoriales. Le Caire pousserait Khartoum à renoncer à ses revendications historiques sur les régions de Halayeb et Shalatin, et à adopter une position plus souple sur la question des eaux du Nil. Ce chantage réduit le Soudan au rôle de subordonné et renforce l’image d’une armée devenue un instrument au service des puissances régionales plutôt qu’un défenseur des intérêts nationaux.
La scène soudanaise d’aujourd’hui révèle un État vacillant entre une armée ayant perdu sa légitimité et un mouvement islamiste rêvant d’un retour impossible. Tous deux se réclament du patriotisme tout en poignardant la nation dans le dos : l’un vend la souveraineté pour le pouvoir, l’autre prêche la guerre au nom de la foi. Le citoyen, lui, demeure la seule victime d’une lutte de pouvoir insensée, dans un pays qui s’effondre sous le poids des ambitions de ses dirigeants.
Le salut du Soudan ne viendra ni des casernes ni des mosquées, mais d’un projet national civil capable de rompre avec la domination de l’arme et de la doctrine. Seule une refondation basée sur la justice et la citoyenneté — non sur l’allégeance ou la soumission — pourra redonner vie à l’État. Faute de cela, le Soudan restera un champ de bataille entre une armée en crise et des islamistes sans horizon, se disputant les ruines d’une nation à l’agonie.