Une mémoire personnelle empêche Zelensky d’avaler la pilule empoisonnée du Donbass

La région du Donbass, où le conflit en Ukraine a débuté il y a dix ans, a vu tomber un grand nombre de soldats ukrainiens. Aujourd’hui, elle est devenue l’axe central des négociations de paix.
Lundi dernier, une carte de l’Ukraine exposée sur un chevalet dans le Bureau ovale envoyait un message limpide : une large portion de ce territoire oriental, connu sous le nom de Donbass, est désormais sous contrôle russe. Pour l’ancien président américain Donald Trump, ces terres, colorées en rouge, sont perdues ; l’Ukraine doit parvenir à un accord pour instaurer la paix, faute de quoi elle risque de perdre davantage, selon le New York Times.
Mais pour le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, cette carte présentée lors de la rencontre avec Trump et des dirigeants européens traduisait une réalité bien plus complexe. Pour lui, il ne s’agissait pas d’une transaction commerciale ni d’une partie de poker, mais d’une affaire personnelle. Zelensky a confié à Trump que son grand-père avait combattu durant la Seconde Guerre mondiale pour libérer les villes du Donbass des nazis. Il ne pouvait donc tout simplement pas envisager de céder cette région.
De retour à Kiev mercredi, le président ukrainien a réaffirmé ce point devant les journalistes : « De nombreuses familles ont combattu pour libérer le Donbass. Beaucoup sont tombés, beaucoup ont été blessés. C’est une blessure profonde de notre histoire et de notre vie nationale. » Il a insisté : « Ce n’est pas aussi simple que certains le pensent. »
Au cœur des négociations
D’après le New York Times, l’issue de la dernière vague de diplomatie menée par Trump, censée mettre fin au conflit le plus meurtrier en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, demeure incertaine. Le Donbass, riche en minerais et composé principalement des régions de Donetsk et Louhansk, sera au centre de tout processus de négociation.
D’une superficie comparable à celle de la Virginie-Occidentale, le Donbass a été le principal théâtre des affrontements. Des dizaines de milliers de soldats des deux camps y ont trouvé la mort pour des gains territoriaux minimes. Aujourd’hui, la Russie tente de conquérir les 2 500 miles carrés restants toujours sous contrôle ukrainien.
Le président russe Vladimir Poutine exige qu’Ukraine renonce à l’ensemble du Donbass, y compris les zones encore administrées par Kiev, où vivent plus de 200 000 Ukrainiens dans des villes comme Kramatorsk et Sloviansk — précisément les lieux que le grand-père de Zelensky avait défendus.
Un piège politique
Pour de nombreux analystes, l’objectif de Poutine dépasse la simple conquête territoriale : il cherche également à fragiliser Zelensky sur le plan intérieur. Les sondages montrent que la majorité des Ukrainiens s’opposent fermement à toute cession de territoire, tandis que la Constitution ukrainienne interdit explicitement de telles concessions.
Zelensky se retrouve donc pris au piège : soit il accepte un compromis impopulaire, soit il risque de s’aliéner Donald Trump. « C’est une pilule empoisonnée », explique Vadym Prystaiko, ancien ministre ukrainien des Affaires étrangères. « L’Ukraine devra l’avaler, et alors seulement nous verrons si elle peut la digérer. »
Certains anciens responsables et analystes soulignent que la seule manière de convaincre la population ukrainienne de céder des terres serait d’obtenir des garanties de sécurité solides, notamment un soutien militaire occidental combinant forces européennes et couverture aérienne américaine, afin de dissuader de futures offensives russes.
Entre concession et échange
Pour Balazs Jarabik, ancien conseiller politique de l’Union européenne à Kiev, l’Ukraine pourrait envisager une concession territoriale « en échange d’un traité de paix qui offre de véritables garanties de sécurité occidentales ». Il ajoute : « Si cela implique d’abandonner le Donbass, je pense qu’elle pourrait l’accepter. »
Donald Trump a, pour sa part, qualifié ces concessions de simples « échanges de territoires », laissant entendre que la Russie pourrait restituer de petites portions dans le nord-est de l’Ukraine en contrepartie. Selon son administration, cette approche profiterait à Kiev, car le Donbass semble voué à tomber et priverait ainsi l’Ukraine de toute marge de manœuvre future.
Mais du côté ukrainien, le point de vue est tout autre. Comme le souligne Maksym Skrypchenko, président du Centre pour le dialogue transatlantique, les avancées russes sont restées limitées au cours des trois dernières années. Céder le Donbass maintenant reviendrait aussi à livrer des villes fortifiées qui pourraient servir de base à de nouvelles offensives russes.
Un retour en arrière
Autrefois considérée comme une région périphérique et russophone, le Donbass comptait 6,7 millions d’habitants dont la majorité ne parlait pas l’ukrainien. En 2010, neuf électeurs sur dix y avaient soutenu le président pro-russe Viktor Ianoukovitch.
Aujourd’hui, face aux blocages autour des garanties de sécurité, l’analyste Harry Nedelcu, de la société Rasmussen Global, constate : « Nous sommes essentiellement revenus à la case départ. À moins d’un changement imposé à Poutine, aucun progrès n’est envisageable dans les négociations de paix. »
Et de conclure : « Au contraire, je m’attends à davantage de combats. »