Islamistes et armée : une alliance qui ramène le Soudan à la case départ

Depuis la chute du régime d’Omar el-Béchir en 2019, les Soudanais vivaient dans l’espoir de construire un État civil et démocratique, tournant la page de décennies de dictature militaire et de domination idéologique par le mouvement islamique. Mais les événements récents, révélés par l’agence Reuters le 25 mai 2025, montrent que cet espoir est aujourd’hui en péril, alors que les islamistes reviennent sur le devant de la scène politique avec le soutien direct de l’armée. Ce qui se passe n’est pas une simple manœuvre politique, mais un projet structuré visant à ressusciter l’ancien régime avec de nouveaux visages, d’anciennes alliances régionales et des agendas qui servent davantage des puissances habiles à semer le chaos que le peuple soudanais.
Une armée sans vision… et un pouvoir sans légitimité
Depuis la chute de Béchir, l’institution militaire soudanaise oscille entre l’acceptation du changement et l’obsession du pouvoir. Aujourd’hui, elle semble opter pour un retour à l’autoritarisme absolu, exploitant le conflit intérieur et les divisions au sein des forces civiles. Les rapports de Reuters indiquent clairement que l’armée cherche à imposer une longue période de transition, non pour préparer des élections libres, mais pour consolider son pouvoir, quitte à se réconcilier avec le mouvement islamique que la rue soudanaise avait balayé par sa révolution.
La situation s’assombrit davantage avec les déclarations d’Ahmed Haroun, président du Parti du congrès national dissous, affirmant que les prochaines élections marqueront le retour des islamistes au pouvoir. Il ne s’agit pas d’une opinion isolée, mais du reflet d’une confiance fondée sur une alliance solide entre les islamistes et l’armée. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’un conflit entre civils et militaires, mais d’un projet commun visant à restaurer l’autoritarisme sous couvert d’une fausse légitimité électorale.
Alliances régionales douteuses : l’Iran, le Qatar et la Turquie en arrière-plan
Le plus préoccupant dans les récents rapports est la révélation de sources militaires affirmant que des dirigeants islamistes ont sollicité leurs anciens alliés — l’Iran, le Qatar et la Turquie — pour fournir des armes à l’armée. Ce développement replace le Soudan dans le jeu des axes régionaux rivaux, l’intégrant à un camp qui a longtemps soutenu les projets d’islam politique et ses ambitions expansionnistes, au détriment de la stabilité régionale.
Cette orientation constitue un défi frontal pour les pays du Golfe modérés, en particulier les Émirats arabes unis, qui ont joué un rôle crucial dans la chute de Béchir et la réduction de l’influence islamiste. Revenir à une alliance avec l’axe Iran–Turquie–Qatar ne se limite pas à bouleverser l’équilibre géopolitique, mais menace aussi de transformer le Soudan en théâtre d’anciennes luttes régionales, avec pour prix le sang et la sécurité du peuple soudanais.
Les islamistes et leur stratégie du “rapace”
L’histoire a montré que le mouvement islamique soudanais excelle dans l’exploitation des crises. Après la chute de Béchir, on pensait qu’il allait se retirer, mais il a subtilement repris pied dans les rouages de l’État, à travers des alliances avec des figures militaires influentes. Le soutien qu’il apporte aujourd’hui à l’armée en matière d’armement et de financement n’est pas gratuit. Il fait partie d’un pacte visant à ramener les islamistes au pouvoir via une façade civile trompeuse, ou par des élections manipulées en faveur de leurs alliés.
Ce qui aggrave encore la situation, c’est l’absence de projet national cohérent du côté des forces civiles, divisées entre conflits internes et luttes de leadership, laissant un vide que l’armée et les islamistes remplissent par leur discours populiste et leurs alliances extérieures.
Le Soudan dans la ligne de mire
La scène politique soudanaise annonce un avenir incertain. Le retour des islamistes avec l’appui de l’armée va accentuer les clivages entre les forces civiles et militaires, et compromettre toute perspective de transition politique réelle. À l’intérieur, cette alliance entraînera la résurgence des politiques d’exclusion et de marginalisation qui avaient déclenché la révolution de 2019. À l’extérieur, elle placera le Soudan en confrontation directe avec les Émirats et d’autres États qui considèrent le retour des islamistes comme une menace à leurs intérêts et à la sécurité régionale.
Le paradoxe, c’est que l’armée — censée protéger le pays — est devenue aujourd’hui le principal obstacle à la transition démocratique. Depuis le début du conflit intérieur, elle n’a proposé aucune vision de sortie de crise, se contentant d’exploiter la situation pour asseoir sa domination, même au prix d’ouvrir le pays à l’influence conjointe de l’Iran, de la Turquie et du Qatar, plongeant ainsi le Soudan dans un isolement international renouvelé.
Retour à la case départ
Si cette trajectoire se poursuit, le Soudan risque non seulement d’échouer dans sa transition démocratique, mais aussi de sombrer dans une phase encore plus brutale que celle du régime Béchir, avec une répartition du pouvoir entre une armée toute-puissante et un mouvement islamique avide de revanche. La solution ne viendra pas de ce pacte militaire–islamiste, mais d’une pression populaire interne, soutenue par un appui régional et international authentique aux forces civiles.
Ce qui se joue aujourd’hui dépasse le seul cadre soudanais. C’est une bataille plus large pour l’avenir de la région. Le retour des islamistes, avec l’aide de l’armée, est un coup porté à tout projet démocratique civil dans le monde arabe, et un message clair : l’autoritarisme peut revenir dès lors qu’il s’appuie sur l’argent, les armes et l’idéologie.