Politique

Espions numériques et ennemis sans visage : la CIA face au défi de l’intelligence artificielle


À l’ère où les champs de bataille ne sont plus physiques mais numériques, la CIA mène une guerre d’un nouveau genre : sans fumée, sans corps, mais pas sans conséquences.

Dans son livre La Mission, le journaliste d’investigation Tim Weiner, l’un des plus éminents spécialistes du renseignement, dresse un tableau sombre de l’agence américaine. Il y retrace un quart de siècle d’échecs, depuis l’incapacité à prévenir les attentats du 11 septembre 2001, jusqu’à la justification contestée de l’invasion de l’Irak, en passant par les menaces émergentes liées à l’intelligence artificielle et la résurgence du conflit stratégique avec Moscou et Pékin.

L’agence, qui se veut le premier rempart de la sécurité nationale des États-Unis, se trouve aujourd’hui en proie à une crise existentielle : déstructuration interne, perte de pertinence du renseignement humain face à la numérisation, et une Maison-Blanche de plus en plus imprévisible.

La Mission n’est pas seulement une chronique d’échecs et de scandales : c’est un signal d’alarme. Elle montre que même la plus puissante agence de renseignement au monde pourrait ne pas être prête à affronter les défis à venir, ni l’ennemi intérieur.

Weiner retrace, sur plus de 400 pages et à partir de témoignages d’anciens espions, les dérives politiques et morales qui ont miné la CIA. Il raconte notamment comment, à plusieurs reprises, des agents ont tenté de manipuler le public qu’ils étaient censés protéger.

Aujourd’hui, dans un monde marqué par les conflits en Ukraine et à Gaza, et face à un retrait progressif des États-Unis de leur rôle de gendarme mondial, La Mission se lit comme une mise en garde sur les limites du pouvoir du renseignement.

Selon The Financial Times, Weiner avance que dévoiler « l’histoire secrète » du passé pourrait éclairer un avenir plus sûr. Il écrit en introduction : « Une nouvelle guerre froide progresse lentement vers une menace existentielle. Seul un renseignement efficace peut prévenir une attaque surprise, une erreur fatale de jugement ou une guerre inutile. »

Le défi de la numérisation

Alors que la guerre contre le terrorisme s’estompe, la CIA revient à ses fondamentaux : l’espionnage des puissances rivales. Mais les outils classiques semblent obsolètes. La reconnaissance faciale, les données biométriques et la surveillance de masse rendent le travail clandestin presque impossible.

L’agence, selon le livre, s’est montrée lente à réagir aux nouvelles menaces. Après la guerre froide, elle n’était pas préparée à l’ascension du terrorisme. Pendant que la CIA mobilisait ses ressources contre Al-Qaïda et Daech, Moscou annexait la Crimée et Pékin renforçait ses capacités de cyberespionnage.

L’impact des événements du 11 septembre – et les abus qui ont suivi – continue de hanter la CIA, qui peine à s’adapter à un monde où chaque individu laisse une trace numérique.

Weiner évoque brièvement les nouvelles technologies utilisées par la CIA pour protéger ses agents, mais reste évasif sur leur nature. Selon lui, l’agence possède les outils pour remporter la « guerre technologique », sans en dévoiler les détails.

Vers une guerre sans humains ?

D’après The Washington Post, certaines de ces technologies incluent des réseaux de téléphonie mobile non traçables et des agents virtuels dotés d’intelligence artificielle capables de collecter des informations sans contact humain.

Ces idées peuvent sembler relever de la science-fiction, mais Weiner se concentre sur une réalité plus troublante : la zone grise morale dans laquelle opèrent les espions.
James Olson, ancien agent de la CIA pendant la guerre froide, affirme : « Toute ma carrière à la CIA, j’ai menti, manipulé, triché et volé. »
Il ajoute que la question morale est centrale : « Jusqu’où peut-on pousser quelqu’un à trahir son pays ? Combien de vies peut-on sacrifier pour protéger les intérêts américains ? »

Ces dilemmes, autrefois réservés aux conflits étrangers, sont aujourd’hui au cœur du débat intérieur, notamment avec le retour possible de Donald Trump à la présidence. Ce dernier a déjà révoqué les accréditations de certains anciens agents, gelé des recrutements sensibles, et exposé involontairement des recrues spécialisées dans la Chine.

Le livre se termine sur une note inquiétante, suggérant que Trump pourrait, s’il revient au pouvoir, ordonner la reconstruction de prisons secrètes ou le ciblage de ses opposants politiques par la CIA.

Weiner conclut : même les meilleurs renseignements du monde sont inutiles si le chef d’État refuse de les écouter. La CIA a traversé de nombreuses tempêtes, mais ses épreuves les plus dangereuses pourraient bien être à venir.

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