Quand la « Riviera » se heurte à la résilience : La vision de Trump pour Gaza entre intérêt économique et identité
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Depuis des décennies, la question de Gaza demeure au cœur des conflits régionaux et internationaux, où se mêlent considérations politiques, humanitaires et économiques.
L’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient estime que la vision du président américain Donald Trump pour la reconstruction de Gaza repose sur des considérations purement économiques, ignorant les dimensions politiques et historiques de la question palestinienne.
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Le plan consiste à déplacer les deux millions d’habitants de Gaza vers d’autres pays, tandis que le territoire serait transformé en une « Riviera du Moyen-Orient » pour attirer les investissements et les résidents du monde entier.
Selon les déclarations de Trump, les Palestiniens ne seraient pas autorisés à revenir, tandis que des responsables de son administration décrivent ce déplacement comme « temporaire » ou « transitoire ». Les États-Unis superviseraient la reconstruction de Gaza, financée par d’autres pays.
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Un rejet palestinien unanime
Dans un article, Naomi Neuman, chercheuse invitée à l’Institut de Washington pour la politique du Proche-Orient et spécialiste des affaires palestiniennes, explique que la vision de Trump a été catégoriquement rejetée par les Palestiniens. L’Autorité palestinienne et le mouvement Hamas, malgré leurs profonds désaccords sur d’autres questions, ont affirmé qu’ils n’accepteraient aucun arrangement allant à l’encontre du « droit au retour ».
Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a dénoncé ce plan comme une « violation grave du droit international » et a immédiatement cherché à mobiliser des États arabes pour le contrecarrer. De son côté, le Hamas a déclaré qu’il ne permettrait aucun « nettoyage ethnique ».
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Au niveau populaire, ce projet a suscité à la fois stupeur et colère. La majorité des Palestiniens y voient une tentative de réédition de la « Nakba » de 1948. Des commentateurs palestiniens ont sévèrement critiqué l’initiative, se demandant pourquoi Trump ne proposait pas les États-Unis comme destination pour l’émigration palestinienne. D’autres y voient une « conspiration américano-israélienne » visant à effacer leur identité nationale.
Une vision purement économique
Naomi Neuman, ancienne responsable de l’unité de recherche de l’agence israélienne de sécurité (Shabak) et du ministère des Affaires étrangères israélien, souligne que la proposition de Trump est moins un plan détaillé qu’un ensemble de principes généraux reflétant son approche des affaires politiques.
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Elle explique : « En tant qu’homme d’affaires, Trump perçoit les individus comme des entités économiques priorisant les gains matériels, tels que la prospérité, par rapport à des objectifs collectifs abstraits comme l’indépendance nationale ou l’identité culturelle et religieuse. » Elle ajoute que cette vision se retrouve également dans ses propositions concernant le Groenland, le Canada ou le canal de Panama, où il substitue le concept politique de « souveraineté » par la notion économique de « propriété », traitant les territoires comme des biens immobiliers échangeables.
Selon cette perspective, offrir des avantages matériels aux Palestiniens pour les inciter à renoncer à leur récit national s’apparente à promouvoir ce que l’on appelle la « paix économique ». Toutefois, cette approche ne peut réussir qu’entre États souverains, où aucun d’eux n’est contraint d’abandonner des éléments fondamentaux de son identité en échange de gains économiques.
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Les politiques de migration forcée
L’auteure rappelle que l’idée de déplacer les Palestiniens n’est pas nouvelle, mais fait partie de la stratégie israélienne depuis 1967. Des études montrent qu’Israël a tenté d’encourager la migration palestinienne vers des destinations en dehors de son contrôle, comme les pays d’Amérique latine et du Golfe, tout en envisageant des scénarios de réinstallation des habitants de Gaza ailleurs.
Malgré ces efforts, ces politiques n’ont pas eu beaucoup de succès : seul un nombre limité de Palestiniens a quitté la région. Cependant, les conditions économiques et politiques ont conduit à des vagues d’émigration significatives au fil des décennies. On estime qu’entre 250 000 et 350 000 Palestiniens ont quitté Gaza entre 2007, année de la prise de contrôle du Hamas, et octobre 2023. Entre 115 000 et 135 000 autres sont partis après l’attaque du 7 octobre 2023, jusqu’à la fermeture du poste-frontière de Rafah en mai 2024.
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Un sondage mené en septembre 2023 a révélé qu’un tiers des habitants de Gaza et un cinquième des résidents de Cisjordanie envisagent d’émigrer pour des raisons économiques, politiques ou sécuritaires. La Turquie est l’une des principales destinations des migrants palestiniens, beaucoup cherchant ensuite à rejoindre l’Europe, le Canada, les États-Unis ou le Qatar.
Les alternatives proposées
D’un point de vue arabe, le plan de Trump souffre de deux lacunes majeures : d’une part, il ne maintient pas les Palestiniens à Gaza pour démontrer la possibilité de sa reconstruction ; d’autre part, il ne s’inscrit pas dans un processus politique conduisant à la création d’un État palestinien. Certains pays arabes cherchent à prouver leur engagement en faveur de la reconstruction de Gaza en offrant un soutien financier, technique et sécuritaire, espérant ainsi inciter Washington à abandonner son projet.
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Neuman conclut que la vision de Trump repose sur une approche économique pragmatique, supposant que les Palestiniens seraient enclins à émigrer si les conditions appropriées – telles que des facilités financières et des opportunités d’emploi – leur étaient offertes. Cependant, une migration organisée dans le cadre d’un plan politique officiel, surtout si elle interdit tout retour, reste peu probable en raison de l’attachement des Palestiniens à leurs droits et à leur identité nationale.
Elle souligne enfin que, faute d’un plan israélien clair pour « le jour d’après » à Gaza, cette vision pourrait ouvrir la porte à de nouvelles tentatives de transformation de la réalité sur le terrain. Toutefois, la résilience palestinienne restera un facteur clé pour contrecarrer toute initiative visant à redéfinir leur identité nationale.
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